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voix, disans : heu, heuaüre, heüra, heüraüre, heüra, heüra, oueh, j’en demeuray tout ravi mais aussi toutes les fois qu’il m’en ressouvient, le coeur m’en tressaillant, il me semble que je les aye encor aux oreilles. Quand ils voulurent finir, frappans du pied droit contre terre, plus fort qu’auparavant, apres que chacun eut craché devant soy, tous unanimement, d’une voix rauque, prononcerent deux ou trois fois, Hé, hua, hua, hua, et ainsi cesserent.

Et parce que n’entendant pas encores lors parfaitement tout leur langage, ils avoyent dit plusieurs choses que je n’avois peu comprendre, ayant prié le truchement qu’il les me declarast : il me dit en premier lieu qu’ils avoyent fort insisté à regretter leurs grands peres decedez, lesquels estoyent si vaillans : toutesfois qu’en fin ils s’estoyent consolez, en ce qu’apres leur mort ils s’asseuroyent de les aller trouver derriere les hautes montagnes, où ils danseroyent et se resjouiroyent avec eux. Semblablement qu’à toute outrance ils avoyent menacé les Ouëtacas (nation de sauvages leurs ennemis, lesquels, comme j’ay dit ailleurs, sont si vaillans qu’ils ne les ont jamais peu dompter) d’estre bientost prins et mangez par euz, ainsi que leur avoyent promis leurs Caraibes. Au surplus, qu’ils avoyent entremeslé et fait mention en leurs chansons, que les eaux s’estans une fois tellement desbordées qu’elles couvrirent toute la terre, tous les hommes du monde, excepté leurs grands peres qui se sauverent sur les plus hauts arbres de leur pays, furent noyez : lequel dernier poinct, qui est ce qu’ils tiennent entre eux plus approchant de l’Escriture saincte, je leur ay d’autres fois depuis ouy reiterer. Et de faict, estant vraysemblable que de pere en fils ils ayent entendu quelque chose du deluge universel, qui avint du temps