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des prisonniers de les faire vistement ainsi depescher) se presentans avec de l’eau chaude qu’elles ont toute preste, frottent et eschaudent de telle façon le corps mort qu’en ayant levé la premiere peau, elles le font aussi blanc que les cuisiniers par-deçà sçauroient faire un cochon de laict prest à rostir.

Apres cela, celuy duquel il estoit prisonnier avec d’autres, tels, et autant qu’il luy plaira, prenans ce povre corps le fendront et mettront si soudainement en pieces, qu’il n’y a boucher en ce pays ici qui puisse plustost desmembrer un mouton. Mais outre cela (ô cruauté plus que prodigieuse) tout ainsi que les veneurs par-deçà apres qu’ils ont pris un cerf en baillent la curée aux chiens courans, aussi ces barbares à fin de tant plus inciter et acharner leurs enfans, les prenans l’un apres l’autre ils leur frottent le corps, bras, cuisses et jambes du sang de leurs ennemis. Au reste depuis que les Chrestiens ont frequenté ce payslà, les sauvages decouppent et taillent tant le corps de leurs prisonniers, que des animaux et autres viandes, avec les cousteaux et ferremens qu’on leur baille. Mais auparavant, comme j’ay entendu des vieillards, ils n’avoyent autre moyen de ce faire, sinon qu’avec des pierres trenchantes qu’ils accommodoyent à cest usage.

Or toutes les pieces du corps, et mesmes les trippes apres estre bien nettoyées sont incontinent mises sur les Boucans, aupres desquels, pendant que le tout cuict ainsi à leur mode, les vieilles femmes (lesquelles, comme j’ay dit, appetent merveilleusement de manger de la chair humaine) estans toutes assemblées pour recueillir la graisse qui degoutte le long des bastons de ces grandes et hautes grilles de bois, exhortans les hommes de faire en sorte qu’elles ayent tousjours de