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m’en retourner avec eux : comme j’eu matiere de rendre graces à Dieu de ceste mienne particuliere delivrance, aussi me sentant sur tous autres obligé d’avoir soin que la confession de foy de ces trois bons personnages fust enregistrée au catalogue de ceux qui de nostre temps ont constamment enduré la mort pour le tesmoignage de l’Evangile, dés ceste mesme année 1558, je la baillay à Jean Crespin, imprimeur : lequel, avec la narration de la difficulté qu’ils eurent d’aborder en la terre des sauvages, apres qu’ils nous eurent laissez, l’insera au livre des Martyrs, auquel je renvoye les lecteurs : car n’eust esté la raison susdite, je n’en eusse fait ici aucune mention. Neantmoins je diray encore ce mot, que Villegagnon ayant esté le premier qui a respandu le sang des enfans de Dieu en ce pays nouvellement cogneu, qu’à bon droit, à cause de ce cruel acte quelqu’un l’a nommé le Caïn de l’Amerique. Et pour satisfaire à ceux qui voudroyent demander que c’est qu’il est devenu, et quelle a esté sa fin, nous, ainsi qu’on a veu en ceste histoire, l’ayans laissé habitué en ce pays-là au fort de Colligny, je n’en ay depuis ouy dire autre chose, et ne m’en suis pas aussi autrement enquis, sinon que quand il fut de retour en France, apres avoir fait du pis qu’il peut et de bouche et par escrit contre ceux de la religion Evangelique, il mourut finalement inveteré en sa vieille peau, en une commanderie de son ordre de Malte, laquelle est aupres de sainct Jean de Nemours. Mesme comme j’ay sceu d’un sien neveu, lequel j’avois veu avec luy audit fort de Colligny, il donna si mauvais ordre à ses affaires, tant durant sa maladie qu’auparavant, et fut si mal affectionné envers ses parens, que sans qu’ils luy en eussent donné occasion ils n’ont gueres mieux valu de son bien, ni en sa vie, ni apres sa mort.