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d’une seule coquille d’icelles on puisse couvrir une maison logeable, ou faire un vaisseau navigeable (comme Pline dit qu’il s’en trouve de telles ès costes des Indes et ès Isles de la mer rouge) si est ce neantmoins parce qu’on y en voit de si longues, larges et grosses, qu’il n’est pas facile de le faire croire à ceux qui n’en ont point veu, j’en feray icy mention en passant. Et sans faire plus long discours là dessus, laissant par cest eschantillon à juger au lecteur quelles elles pouvoyent estre, je diray qu’entre autres une qui fut prinse au navire de nostre Vice-Admiral estoit de telle grosseur, que quatre vingts personnes qu’ils estoyent dans ce vaisseau en disnerent honnestement (vivans comme on a accoustumé sur mer en tels voyages). Aussi la coquille ovalle de dessus qui fut baillée pour faire une Targue au sieur de saincte Marie nostre Capitaine, avoit plus de deux pieds et demi de large : estant forte et espesse à l’equipolent. Au reste, la chair approche si fort de celle de veau que, sur tout, quand elle est lardée et rostie, en la mangeant on y trouve presque mesme goust.

Voici semblablement comme je les ay veu prendre sur mer. En beau temps et calme (car autrement on les voit peu souvent) qu’elles montent et se tiennent au dessus de l’eau, le soleil leur ayant tellement eschauffé le dos et la coquille qu’elles ne le peuvent plus endurer, à fin de se rafraischir, se virant et tournant ordinairement le ventre en haut, les mariniers les appercevans en ceste sorte, s’approchans dans leur barque le plus coyement qu’ils peuvent, quand ils sont auprès les accrochans entre deux coquilles, avec ses gaffes de fer dont j’ay parlé, c’est lors à grand force de bras, et quelque fois tant que quatre ou cinq hommes peuvent, de les tirer et amener à eux dans leur batteau.