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ne les oseroyent aborder ny attaquer s’ils ne se voyoyent beaucoup plus forts, et en plus grand nombre de vaisseaux.

Or pour retourner à nostre route, la mer s’estant derechef enflée, fut l’espace de six ou sept jours si rude, que non seulement je vis par plusieurs fois, les vagues sauter et s’eslever par-dessus le Tillac de nostre navire, mais aussi, estans lors à la praticque de ce qui est dit au Pseaume 107. nous tous à cause de la roideur des ondes ayans les sens defaillis et chancelans comme yvrongnes, le vaisseau estoit tellement esbranlé qu’il n’y avoit matelot, tant habile fust-il, qui se peust tenir debout. Et de faict (comme il est dit au mesme Pseaume) quand de ceste façon en temps de tormente sur mer, on est tout soudain tellement haut eslevé sur ces espouvantables montagnes d’eau qu’il semble qu’on doive monter jusques au ciel, et cependant tout incontinent on redevale si bas qu’il semble qu’on vueille penetrer pardessous les plus profonds gouffres et abysmes : subsistant, di-je, ainsi au milieu d’un million de sepulchres, n’est-ce pas voir les grandes merveilles de l’Eternel ? Il est bien certain qu’ouy. Partant, puisque par telles agitations des furieuses vagues le peril approche bien souvent plus pres de ceux qui sont dans les vaisseaux navigables que l’espesseur des ais de quoy ils sont faicts, m’estant advis que le Poete, qui a dit que ceux qui vont sur mer ne sont qu’à quatre doigts de la mort, les en eslongne encores trop : j’ay, pour plus exprès advertissement aux navigans, non seulement tourné mais aussi amplifié ces vers en ceste façon.


Quoy que la mer par son onde bruyante,
Face herisser de peur cil qui la hante,
Ce nonobstant l’homme se fie au bois,
Qui d’espesseur n’a que quatre ou cinq doigts,