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entreprendre un si fascheux et lointain voyage, je diray briefvement quelle en fut l’occasion.

L’an 1555. un nommé Villegagnon Chevalier de Malte, autrement de l’Ordre qu’on appele de S. Jean de Jerusalem, se faschant en France, et mesme ayant receu quelque mescontentement en Bretagne, où il se tenoit lors, fit entendre en divers endroits du Royaume de France à plusieurs notables personnages de toutes qualitez, que dés long temps il avoit non seulement une extreme envie de se retirer en quelque pays lointain, où il peust librement et purement servir à Dieu selon la reformation de l’Evangile : mais qu’aussi il desiroit d’y preparer lieu à tous ceux qui s’y voudroyent retirer pour eviter les persecutions : lesquelles de fait estoyent telles qu’en ce temps-là plusieurs personnages, de tout sexe et de toutes qualitez, estoyent en tous les endroits du Royaume de France, par Edits du Roy et par arrests des Cours de Parlemens, bruslez vifs, et leurs biens confisquez pour le faict de la Religion.

Declarant en outre Villegagnon tant de bouche à ceux qui estoyent près de luy, que par lettres qu’il envoyoit à quelques particuliers, qu’ayant ouy parler, et faire tant de bons recits à quelques-uns de la beauté et fertilité de la partie en l’Amerique, appelée terre du Bresil, que pour s’y habituer et effectuer son dessein, il prendroit volontiers ceste route et ceste brisée. Et de fait sous ce pretexte et belle couverture, ayant gagné les coeurs de quelques grans seigneurs de la Religion reformée, lesquels menez de mesme affection qu’il disoit avoir, desiroyent trouver telle retraite : entre iceux feu d’heureuse memoire messire Gaspard de Coligny Admiral de France, bien veu, et bien venu qu’il estoit auprès du Roy Henry 2. lors regnant, luy