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nous accoutumasmes d’en boire de l’autre tel qu’il estoit. Non pas cependant que nous en bussions ordinairement, car ayans les cannes de sucre à commandement, les faisans et laissans quelques jours infuser dans de l’eau, apres qu’à cause des chaleurs ordinaires qui sont là, nous l’avions un peu fait rafrechir : ainsi succrée nous la buvions avec grand contentement. Mesmes d’autant que les fontaines et rivieres, belles et claires d’eau douce, sont à cause de la temperature de ce pays-là si bonnes (voire diray sans comparaison plus saines que celles de par deçà) que quoyqu’on en boive à souhait, elles ne font point de mal : sans y rien mistionner, nous en buvions coustumierement l’eau toute pure. Et à ce propos les sauvages appellent l’eau douce Uh-ete, et la salée Uh-een : qui est une diction laquelle eux prononçans du gosier comme les Hebreux font leurs lettres qu’ils nomment gutturales, nous estoit la plus fascheuse à proferer entre tous les mots de leur langage.

Finalement parce que je ne doute point que quelques uns de ceux qui auront ouy ce que j’ay dit cy dessus, touchant la mascheure et tortilleure, tant des racines que du mil, parmi la bouche des femmes sauvages quand elles composent leur bruvage dit caou-in, n’ayent eu mal au coeur, et en ayent craché : à fin que je leur oste aucunement ce desgoust, je les prie de se resouvenir de la façon qu’on tient quand on fait le vin par deçà. Car s’ils considerent seulement cecy : qu’és lieux mesmes où croissent les bons vins, les vignerons, en temps de vendanges, se mettent dans les tinnes et dans les cuves esquelles à beaux pieds, et quelques fois avec leurs soulliers, ils foulent les raisins, voire comme j’ay veu, les patrouillent encor ainsi sur les pressoirs, ils trouveront qui s’y passe beaucoup