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usent ordinairement au lieu de pain. Davantage parce que quand ils mangent ils font un merveilleux silence, tellement que s’ils ont quelque chose à dire, ils le reservent jusques à ce qu’ils ayent achevé, quand, suyvant la coustume des François, ils nous oyoyent jaser et caqueter en prenant nos repas, ils s’en savoyent bien moquer.

Ainsi, pour continuer mon propos, tant que ce caouinage dure, nos friponniers et galebontemps d’Ameriquains, pour s’eschauffer tant plus la cervelle, chantans, siflans, s’accourageans et exhortans l’un l’autre de se porter vaillamment, et de prendre force prisonniers quand ils iront en guerre, estans arrengez comme grues, ne cessent en ceste sorte de danser et aller et venir parmi la maison où ils sont assemblez, jusques à ce que ce soit fait : c’est à dire, ainsi que j’ay ja touché, qu’ils ne sortiront jamais de là, tant qu’ils sentiront qu’il y aura quelque chose és vaisseaux. Et certainement pour mieux verifier ce que j’ay dit, qu’ils sont les premiers et superlatifs en matiere d’yvrongnerie, je croy qu’il y en a tel, qui à sa part, en une seule assemblée avale plus de vingt pots de caou-in. Mais sur tout, quant à la maniere que je les ay depeints au chapitre precedent, ils sont emplumassez, et qu’en cest equippage ils tuent et mangent un prisonnier de guerre, faisans ainsi les Bacchanales à la façon des anciens Payens, saouls semblablement qu’ils sont comme prestres : c’est lors qu’il les fait bon voir rouiller les yeux en la teste. Il advient bien neantmoins, que quelquesfois voisins avec voisins, estans assis dans leurs licts de cotton pendus en l’air, boiront d’une façon plus modeste : mais leur coustume estant telle, que tous les hommes d’un village ou de plusieurs s’assemblent ordinairement pour boire (ce