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grans vaisseaux (lesquels je vous ay dit tenir chacun plus de soixante pintes de Paris) pleins et arrengez en long au milieu de leurs maisons, où ils sont tousjours couverts jusques à ce qu’il faille caou-iner.

Mais avant que d’en venir là, je prie (sans toutesfois que j’approuve le vice) que, par maniere de preface, il me soit permis de dire : Arriere Alemans, Flamans, Lansquenets, Suisses, et tous qui faites carhous et profession de boire par-deçà : car comme vous mesmes, apres avoir entendu comment nos Ameriquains s’en acquittent, confesserez que vous n’y entendez rien au pris d’eux, aussi faut-il que vous leur cediez en cest endroit.

Quand doncques ils se mettent apres, et principalement quant avec les ceremonies que nous verrons ailleurs, ils tuent solennellement un prisonnier de guerre pour le manger : leur coustume (du tout contraire à la nostre en matiere de vin, lequel nous aymons frais et clair) estant de boire ce caou-in un peu chaut, la premiere chose que les femmes font est un petit feu à l’entour des cannes de terre, où il est pour le tieder. Cela fait, commençant à l’un des bouts à descouvrir le premier vaisseau, et à remuer et troubler ce bruvage, puisans puis apres dedans avec de grandes courges parties en deux, dont les unes tiennent environ trois chopines de Paris, ainsi que les hommes en dansant passent les uns apres les autres aupres d’elles, leur presentans et baillans à chacun en la main une de ces grandes gobelles toutes pleines, et elles mesmes en servant de sommeliers, n’oubliant pas de chopiner d’autant : tant les uns que les autres ne faillent point de boire et trousser cela tout d’une traite. Mais scavez vous combien de fois ? ce sera jusques à tant que les vaisseaux, et y en eust-il une