Page:Jean de Léry - Voyage au Brésil - Gaffarel vol 1, 1880.djvu/181

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

peu escumé et cuvé, couvrans ces vaisseaux elles y laissent ce bruvage, jusques à ce qu’on le vueille boire, en la maniere que je diray tantost. Et à fin de mieux exprimer le tout, ces derniers grans vases dont je vien de faire mention, sont faits presque de la façon des grans cuviers de terre, esquels, comme j’ay veu, on fait la lescive en quelques endroits de Bourbonnois et d’Auvergne : excepté toutesfois qu’ils sont plus estroits par la bouche et par le haut.

Or nos Ameriquaines, faisans semblablement bouillir, et maschans aussi puis apres dans leur bouche de ce gros mil, nommé Avati en leur langage, en font encor du bruvage de la mesme sorte que vous avez entendu qu’elles font celuy des racines sus mentionnées. Je repete nommément que ce sont les femmes qui font ce mestier : car combien que je n’aye point veu faire de distinction des filles d’avec celles qui sont mariées (comme quelqu’un a escrit), tant y a neantmoins qu’outre que les hommes ont ceste ferme opinion, que s’ils maschoyent tant les racines que le mil pour faire ce bruvage, qu’il ne seroit pas bon : encor reputeroyent-ils aussi indecent à leur sexe de s’en mesler, qu’à bon droit, ce me semble, on trouve estrange de voir ces grans debraillez paysans de Bresse et d’autres lieux par deçà, prendre des quenoilles pour filer. Les sauvages appellent ce bruvage caouin, lequel estant trouble et espais comme lie, a presque goust de laict aigre : et en ont de rouge et de blanc comme nous avons du vin.

Au surplus tout ainsi que ces racines et ce gros mil, dont j’ay parlé, croissent en tout temps en leur pays, aussi, quand il leur plaist, font-ils en toutes saisons faire de ce bruvage : voire quelque fois en telle quantité que j’en ay veu pour un coup plus de trente de ces