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la jetter dans la bouche nous l’espanchions sur les joues et nous enfarinions tout le visage : partant, sinon que ceux principalement qui portoyent barbe eussent voulu estre accoustrez en joueurs de farces, nous estions contraints de la prendre avec des cuilliers.

Davantage il adviendra quelque fois qu’apres que ces racines d’Aypi et de Maniot (à la façon que je vous ay dit) seront rapées toutes vertes, les femmes faisant de grosses pelotes de la farine fraische et humide qui en sort, les pressurant et pressant bien fort entre leurs mains, elles en feront sortir du jus presques aussi blanc et clair que laict : lequel elles retenans dans des plats et vaisselle de terre, apres qu’elles l’ont mis au soleil, la chaleur duquel le fait prendre et figer comme caillée de formage, quand on le veut manger, le renversant dans d’autres poesles de terre, et en icelles le faisant cuire sur le feu comme nous faisons les aumelettes d’oeufs, il est fort bon ainsi appresté.

Au surplus la racine d’Aypi non seulement est bonne en farine, mais aussi quand toute entiere on la fait cuire aux cendres ou devant le feu, s’attendrissant, fendant et rendant lors farineuse comme une chastagne rostie à la braise (de laquelle aussi elle a presques le goust) on la peut manger de ceste façon. Cependant il n’en prend pas de mesme de la racine de Maniot, car n’estant bonne qu’en farine bien cuicte, ce seroit poison de la manger autrement.

Au reste les plantes ou tiges de toutes les deux, differentes bien peu l’une de l’autre quant à la forme, croissent de la hauteur des petits genevriers : et ont les fueilles assez semblables à l’herbe de Peonia, ou Pivoine en François. Mais ce qui est admirable et digne