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sur certaines petites pierres pointues, fichées et arrangées sur une piece de bois plate (tout ainsi que nous raclons et ratissons les fromages et noix muscades), elles les reduisent en farine laquelle est aussi blanche que neige. Et lors ceste farine ainsi crue, comme aussi le suc blanc qui en sort, dont je parleray tantost : a la vraye senteur de l’amidon, fait de pur froment long temps trempé en l’eau quand il est encore frais et liquide, tellement que depuis mon retour par-deça m’estant trouvé en un lieu où on en faisoit, ce flair me fit ressouvenir de l’odeur qu’on sent ordinairement és maisons des sauvages, quand on y fait de la farine de racine.

Apres cela et pour l’apprester ces femmes Bresiliennes ayans de grandes et fort larges poesles de terre, contenans chacune plus d’un boisseau, qu’elles font elles mesmes assez proprement pour cest usage, les mettans sur le feu, et quantité de ceste farine dedans : pendant que elle cuict elles ne cessent de la remuer avec des courges miparties, desquelles elles se servent ainsi que nous faisons d’escuelles. Ceste farine cuisant de ceste façon, se forme comme petite grelace ou dragée d’apoticaire.

Or elles en font de deux sortes : assavoir de fort cuicte et dure, que les sauvages appellent ouy-entan, de laquelle parce qu’elle se garde mieux, ils portent quand ils vont en guerre : et d’autre moins cuicte et plus tendre qu’ils nomment ouy-pon, laquelle est d’autant meilleure que la premiere, que quand elle est fraische vous diriez en la mettant en la bouche et en la mangeant, que c’est du molet de pain blanc tout chaut : l’une et l’autre en cuisant changent aussi ce premier goust que j’ay dit, en un plus plaisant et souef.