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moins sujets à maladie : et mesme il n’y a presque point de boiteux, de borgnes, contrefaits, ny maleficiez entre eux. Davantage, combien que plusieurs parviennent jusques à l’aage de cent ou six vingt ans (car ils scavent bien ainsi retenir et conter leurs aages par lunes), peu y en a qui en leur vieillesse ayent les cheveux ny blancs ny gris. Choses qui pour certain monstrent non seulement le bon air et bonne temperature de leur pays, auquel, comme j’ay dit ailleurs, sans gelées ny grandes froidures, les bois, herbes et champs sont tousjours verdoyans, mais aussi (eux tous beuvans vrayement à la fontaine de Jovence) le peu de soin et de souci qu’ils ont des choses de ce monde. Et de fait, comme je le monstreray encore plus amplement cy apres, tout ainsi qu’ils ne puisent, en façon que ce soit en ces sources fangeuses, ou plustost pestilentiales, dont decoulent tant de ruisseaux qui nous rongent les os, succent la moëlle, attenuent le corps, et consument l’esprit : brief nous empoisonnent et font mourir par deçà devant nos jours : assavoir, en la desfiance, en l’avarice qui en procede, aux procez et brouilleries, en l’envie et ambition, aussi rien de tout cela ne les tourmente, moins les domine et passionne.

Quant à leur couleur naturelle, attendu la region chaude où ils habitent, n’estans pas autrement noirs, ils sont seulement basanez, comme vous diriez les Espagnols ou Provençaux.

Au reste, chose non moins estrange que difficile à croire à ceux qui ne l’ont veu, tant hommes, femmes qu’enfans, non seulement sans cacher aucunes parties de leurs corps, mais aussi sans monstrer aucun signe d’en avoir honte ny vergongne, demeurent et vont coustumierement aussi nuds qu’ils sortent du ventre de leurs meres. Et cependant tant s’en faut, comme