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l’institution de la Cene apres l’action de graces, ayant expressément dit à ses Apostres, Je ne boiray plus du fruict de la vigne, etc., estoyent l’opinion que le vin defaillant il vaudroit mieux s’abstenir du signe que de le changer. Les autres au contraire disoyent, que lors que Jesus Christ institua sa Cene, estant au pays de Judée, il avoit parlé du bruvage qui y estoit ordinaire, et que s’il eust esté en la terre des sauvages il est vraysemblable qu’il eust non seulement fait mention du bruvage dont ils usent au lieu de vin, mais aussi de leur farine de racine qu’ils mangent au lieu de pain concluoyent que tout ainsi qu’ils ne voudroyent nullement changer les signes du pain et du vin, tant qu’ils se pourroyent trouver, qu’aussi à defaut d’iceux ne feroyent ils point de difficulté de celebrer la Cene avec les choses plus communes (tenant lieu de pain et de vin) pour la nourriture des hommes du pays où ils seroyent. Mais encores que la pluspart enclinast à ceste derniere opinion, parce que nous n’en vinsmes pas jusques à ceste extremité, ceste matiere demeura indecise. Toutesfois tant s’en faut que cela engendrast aucune division entre nous, que plustost par la grace de Dieu, demeurasmes nous tousjours en telle union et concorde, que je desirois que tous ceux qui font aujourd’huy profession de la Religion reformée marchassent de tel pied que nous faisions lors.

Or, pour parachever ce que j’avois à dire touchant Villegagnon, il advint sur la fin du mois d’Octobre, que luy, suyvant le proverbe qui dit, que celuy qui se veut distraire de quelqu’un en cerche l’occasion, detestant de plus en plus et nous et la doctrine laquelle nous suivions, disant qu’il ne nous vouloit plus souffrir ni endurer en son fort, ni en son isle, commanda que nous en sortissions. Vray est (ainsi que j’ay touché ci dessus) que nous avions bien moyen de l’en chasser luy-mesme si nous eussions voulu : mais, tant à fin de luy oster toute occasion de se plaindre de nous,