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arrivasmes au cap de Frie : port et havre des plus renommez en ce pays-là pour la navigation des François. Là apres avoir mouillé l’ancre, et pour signal aux habitans, tiré quelques coups de canons, le capitaine et le maistre du navire avec quelques uns de nous autres ayans mis pied à terre, nous trouvasmes d’abordée sur le rivage grand nombre de sauvages, nommez Tououpinambaoults, alliez et confederez de nostre nation : lesquels outre la caresse et bon accueil qu’ils nous firent, nous dirent nouvelle de Paycolas (ainsi nommoyent-ils Villegagnon), dequoy nous fusmes fort joyeux. En ce mesme lieu (tant avec une rets que nous avions qu’autrement avec des hameçons) nous peschasmes grande quantité de plusieurs especes de poissons tous dissemblables à ceux de par-deça : mais entre les autres, il y en avoit un, possible le plus bigerre, difforme et monstrueux qu’il est possible d’en voir, lequel pour ceste cause j’ay bien voulu descrire ici. Il estoit presques aussi gros qu’un bouveau d’un an, et avoit un nez long d’environ cinq pieds, et large de pied et demi, garni de dents de costé et d’autre, aussi piquantes et trenchantes qu’une scie : de façon que quand nous les vismes sur terre remuer si soudain ce maistre nez, ce fut à nous, en nous en donnant garde, et sur peine d’en estre marquez, de crier l’un à l’autre, garde les jambes : au reste la chair en estoit si dure, qu’encore que nous eussions tous bon appetit, et qu’on le fist bouillir plus de vingtquatre heures, si n’en sceusmes nous jamais manger.

Au surplus ce fut là aussi que nous vismes premierement les perroquets voler, non seulement fort haut et en troupes, comme vous diriez les pigeons et corneilles en nostre France, mais aussi, ainsi que j’observay dés lors, estans en l’air ils sont tousjours par couples