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se jettent environ deux lieues en mer, ne peut estre abordée de ceste part-là avec les vaisseaux, aussi tiennent-ils qu’il est du tout inaccessible du costé de la terre.

Il y a semblablement trois petites isles nommées les isles de Maq-Hé, aupres desquelles ayans mouillé l’ancre, et couché une nuict, dés le lendemain faisans voile, nous pensions dés ce mesme jour arriver au Cap de Frie : toutesfois au lieu d’avancer nous eusmes vent tellement contraire, qu’il fallut relascher et retourner d’où nous estions partis le matin, où nous fusmes à l’ancre jusques au jeudi au soir : et comme vous orrez, peu s’en fallut que nous n’y demeurissions du tout. Car le mardi deuxiesme de Mars, jour qu’on disoit Caresme-prenant, apres que nos matelots, selon leur coustume, se furent resjouys, il advint qu’environ les onze heures du soir, sur le poinct que nous commencions à reposer, la tempeste s’eslevant si soudaine, que le cable qui tenoit l’ancre de nostre navire, ne pouvant soustenir l’impetuosité des furieuses vagues, fut tout incontinent rompu : nostre vaisseau ainsi tourmenté et agité des ondes, poussé qu’il estoit du costé du rivage, estant venu à n’avoir que deux brasses et demie d’eau (qui estoit le moins qu’il en pouvoit avoir pour flotter tout vuide), peu s’en fallut qu’il ne touchast terre, et qu’il ne fust eschoué. Et de faict, le maistre, et le pilote, lesquels faisoyent sonder à mesure que la navire derivoit, au lieu d’estre les plus asseurez et donner courage aux autres, quand ils virent que nous en estions venus jusques-là, crierent deux ou trois fois, Nous sommes perdus, nous sommes perdus. Toutesfois nos matelots en grande diligence ayans jetté une autre ancre, que Dieu voulut qui tint ferme, cela empescha que nous ne fusmes pas portez sur