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et mis le cap droit dessus, dés le mesme jour, (nostre Admiral s’en estant allé devant) nous vinsmes surgir et mouiller l’ancre à demie lieuë pres d’une terre et lieu fort montueux appelé Huvassou par les Sauvages : auquel apres avoir mis la barque hors le navire, et, selon la coustume quand on arrive en ce pays-là, tiré quelques coups de canons pour advertir les habitans, nous vismes incontinent grand nombre d’hommes et de femmes sauvages sur le rivage de la mer. Cependant (comme aucuns de nos mariniers qui avoyent autrefois voyagé par delà recogneurent bien) ils estoyent de la nation nommée Margaïas, alliée des Portugais, et par consequent tellement ennemie des François, que s’ils nous eussent tenus à leur advantage, nous n’eussions payé autre rançon, sinon qu’apres nous avoir assommez et mis en pieces, nous leur eussions servi de nourriture. Nous commençasmes aussi lors de voir premierement, voire en ce mois de Febvrier (auquel à cause du froid et de la gelée toutes choses sont si reserrées et cachées par deçà, et presque par toute l’Europe au ventre de la terre), les forests, bois, et herbes de ceste contrée là aussi verdoyantes que sont celles de nostre France és mois de May et de Juin : ce qui se voit tout le long de l’année, et en toutes saisons en ceste terre du Bresil.

Or nonobstant ceste inimitié de nos Margajas à l’encontre des François, laquelle eux et nous dissimulions tant que nous pouvions, nostre Contremaistre, qui savoit un peu gergonner leur langage, avec quelques autres Matelots s’estant mis dans la barque, s’en alla contre le rivage, où en grosses troupes nous voyons tousjours ces sauvages assemblez. Toutesfois nos gens ne se fians en eux que bien à point, à fin d’obvier au danger où ils se fussent peu mettre d’estre prins et boucanez, c’est à dire rostis, n’approcherent