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LE JOURNAL DES VOYAGES

tiné à accomplir le trajet de le terre à la lune.

Mais Elie Spruce n’acceptait pas sans réserve les conclusions du savant ingénieur. Il faisait observer que ce dernier limite arbitrairement la consommation d’explosif en admettant qu’un véhicule d’une tonne, par exemple, ne pourra brûler que 300 kilogrammes de poudre, soit moins du tiers de son poids, car on doit, dit M. Esnault-Pelterie, consacrer au moins 700 kilos à la construction d’un véhicule habitable.

Or, cette proportion est notoirement insuffisante pour obliger le projectile à quitter la terre.

Elie Spruce envisage le problème d’une autre façon. Il le pose ainsi :

Étant donné une masse d’explosif fusant capable de brûler dans son entier et constituée de telle sorte que l’énergie dégagée par sa déflagration la propulse verticalement en l’éloignant de la terre, à quel moment aura-t-elle acquis une vitesse suffisante pour échapper à l’attraction du globe et quelle sera à ce moment la proportion de la masse qui n’aura pas encore été brûlée ?

Il est évident que cette proportion pourra être remplacée par des matières incombustibles et ce seront ces dernières qui constitueront le poids utile du véhicule. Peu importe qu’elle soit faible, voire infime ; cela n’aura d’autre conséquence que d’obliger les constructeurs à employer une quantité énorme d’explosif. Il leur faudra, par exemple, consommer 999 kilos pour lancer un poids utile de 1 kilo, et ils seront loin de la proportion de 300 kilos pour 700 fixée par M. Esnault-Pelterie ; mais ils pourront tout de même expédier dans la lune un véhicule d’une tonne en lui adjoignant 999 tonnes de poudre.

Les calculs qu’Elie Spruce a établis sur cette base lui ont démontré, en effet, la nécessité d’user une masse colossale d’explosif pour faire décollé de la terre un véhicule pourvu de toutes les ressources indispensables, assurer son retour de la lune et lui procurer, en outre, l’énergie nécessaire au freinage lors de la descente sur la lune ou sur la terre.

Le grand constructeur américain a dressé lui-même les plans d’une machine capable d’entreprendre le voyage, mais la maladie ne lui a pas laissé le temps de mettre son projet à exécution. Sentant venir sa fin, il a institué un legs de six millions de dollars destiné à financer une mission dans la lune.

C’est ce que René Brifaut, jeune reporter français, expliquait à sa femme, avec laquelle il avait obtenu de prendre passage à bord du Montgomery, parmi quelques rares privilégiés.

— Le vieux Spruce n’avait pas d’enfant, qui aurait pu se plaindre de sa générosité en faveur de la science. Il a fait un beau geste dans l’espoir d’immortaliser son nom.

— Tu appelles ça un beau geste ! répliqua Madeleine Brifaut. Moi je dis que c’est plutôt un geste de fou. À quoi sert en somme une entreprise pareille ?

— Il faut croire qu’elle peut servir à quelque chose, puisque les savants du monde entier, unis en congrès, ont décidé de profiter du legs Spruce pour organiser une mission internationale dans la lune. Crois bien qu’il n’est pas sans intérêt d’aller voir sur notre satellite ce qu’il s’y passe.

— On se propose sans doute de le coloniser, répartit la jeune femme avec ironie.

— Il est facile de railler, Madeleine. Mais suppose qu’on trouve en abondance sur la lune un corps très précieux, comme le radium, par exemple, qui pourrait aider à améliorer les conditions de la vie sur notre planète.

— Il faudrait l’exploiter.

— On pourrait sans doute en rapporter des quantités appréciables. Cent kilos de radium métamorphoseraient l’humanité.

— J’aime mieux laisser à d’autres le soin d’aller le chercher.

— Naturellement, ce n’est pas l’affaire d’une femme, mais moi, par exemple, je serais très bien parti dans le Selenit.

— Ça te gagne aussi ?

— Tu ne m’as pas reproché mes voyages d’exploration en Afrique ou au Thibet.

— Ah ! dis donc, ce n’est pas la même chose.

— Non… c’était probablement plus dangereux.

— René, tu ne parles pas sérieusement. J’admire beaucoup les dix audacieux qui vont s’embarquer dans le Selenit, mais à peu près comme j’admire Don Quichotte quand il charge les moulins à vent.

— Sérieusement, Madeleine, je trouve que ces gens-là, loin d’être fous, font preuve de la plus grande sagesse. Ils vont accomplir un voyage merveilleux et pour prix de leur bravoure ils recevront une fortune, car le legs d’Elie Spruce leur alloue à chacun cent mille dollars. Je regrette sincèrement de ne pouvoir me joindre à eux.

— Il ne manquerait plus que ça ! Je ne te laisserais pas partir.

— Il n’est pas question non plus que je parte, puisqu’il n’y a que dix places et qu’elles sont toutes prises. Mais tu avoueras que si j’avais pu gagner près de trois millions de francs en un mois, ce

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