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LE JOURNAL DES VOYAGES

GRAND ROMAN-CONCOURS

Une Mission dans la Lune

par Jean PETITHUGUENIN

SAGE OU FOU

Il y avait foule, ce jour-là, sur le quai de la Delaware, à Philadelphie, aux abords de la jetée quarante-neuf, le long de laquelle un steamer, le Montgomery, était amarré côte à côte avec une étrange remorque.

Large de trois milles en cet endroit, entre Philadelphie et Camden, l’annexe du grand port américain, le fleuve était couvert de petites embarcations chargées de curieux qui gênaient les évolutions des cargos et des paquebots.

On se montrait l’objet bizarre que le Montgomery, dont les machines étaient sous pression, allait conduire au large.

Cela ressemblait assez à un puissant sous-marin d’environ cent mètres de long, qui, à en juger par sa partie supérieure émergée, affectait la forme d’un long parallélépipède rectangle, effilé à l’arrière et terminé à l’avant par une partie arrondie en tête de poisson. La surface, entièrement lisse, était enduite d’une sorte de vernis bleu sur lequel s’étalaient sept majuscules rouges composant le mot : Selenit. On remarquait, à l’avant et sur le cinquième environ de la longueur de la machine, quelques petits hublots parfaitement encastrés et ne formant ni creux ni saillies.

À droite et à gauche de la face supérieure, la proue arrondie, s’évasait ; elle formait sur le reste de la paroi des renflements qui se prolongeaient à l’arrière par des tubes d’une quinzaine de mètres, pareils à des caanons de gros calibre et légèrement obliques par rapport à l’axe du Selenit. Les spectateurs qui se trouvaient assez près et dont le regard perçait la surface du fleuve, pouvaient voir que d’autres tubes semblables étaient disposés sur la face inférieure. Ces canons latéraux étaient soudés sur toute leur longueur aux parois de l’esquif par de fortes cloisons métalliques qui faisaient corps avec les angles, de sorte que l’appareil, dans son ensemble, ressemblait à un énorme carreau d’arbalète.

Les flancs du Selenit étaient, du reste en partie masqués par de grosses pièces de bois fixées avec des câbles auxquelles étaient amarrés une série de grands flotteurs cylindriques. On pouvait en conclure que la machine était trop lourde pour surnager et qu’il avait fallu l’alléger pour l’empêcher de couler.

Les personnes douées d’une bonne vue remarquaient encore vers l’avant, sur la paroi supérieure, une fine logne circulaire et quatre solides poignées qui révélaient la présence d’un capot vissé.

Sur le quai et dans les embarcations chargées de curieux, les conversations allaient leur train. Les gens les plus rassis ne pouvaient se défendre d’une vive émotion en pensant que dix hommes allaient bientôt s’enfermer dans ce monstre de métal pour tenter l’aventure la plus extraordinaire qu’il soit, un voyage dans la lune.

Il y avait plus d’un an que cette grande question occupait les esprits dans le monde entier. On avait fait assez de bruit autour de certaines clauses du testament d’Elie Spruce, le célèbre fondateur du chantier de constructions navales de Camden qui porte son nom.

Elie Spruce avait été frappé par les études de certains savants qui avaient conclu à la possibilité d’envoyer un projectile dans la lune et cela dans des conditions telles que des hommes pussent s’y enfermer sans risquer d’être tués par les chocs, soit au départ, soit à l’arrivée. Il avait retenu, en particulier, l’idée de Esnault-Pelterie, qui a préconisé l’emploi d’un appareil propulsé par le recul d’une poudre fusante[1].

À vrai dire, Esnault-Pelterie a conclu que, dans l’état actuel de la science, la solution, théoriquement possible, du problème ne peut être réalisée dans la pratique. Il remarque que les explosifs modernes les plus puissants ne renferment pas, pour un poids donné, l’énergie nécessaire à le propulsion d’un véhicule des-


  1. Considérations sur les résultats de l’allègement indéfini des moteurs. — Journal de Physique, mars 1913.
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