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toute langue vivante change plus ou moins son vocabulaire, soit en acquérant des mots nouveaux comme les objets qu’ils désignent ; soit en substituant par pur caprice des mots étrangers aux bons vieux mots traditionnels, réputés surannés et ridicules. La perte des vieux mots est toujours regrettable ; car ce sont les meilleurs ordinairement que la jeunesse et une sotte suffisance cherchent à démoder et à faire oublier. Quant à l’acquisition de mots nouveaux, elle ne peut qu’enrichir le trésor de l’idiome, mais à une double condition : la première, qu’ils soient au moins utiles, sinon nécessaires ; la seconde, que l’idiome jouisse d’une vitalité assez vigoureuse pour se les assimiler parfaitement et leur imprimer tout à fait son propre caractère.

Or le bressau n’en est plus là depuis une quarantaine d’années. Sans ombre de nécessité, il accepte toutes sortes de mots exotiques et les ingurgite sans les digérer. Soit mépris du passé et des choses locales, soit prétention puérile de paraître plus instruit, on rougit des termes qui n’existent pas dans les localités environnantes, on se moque des personnes qui persistent simplement à les employer, et on se fait gloire de les remplacer par d’autres tout disparates et de la plus misérable vulgarité. Délicieux parler de nos ancêtres, la nouvelle génération essaie de te franciser, de te civiliser, et n’aboutira qu’à faire de toi un mauvais jargon, un je ne sais quoi dont la perte définitive ne méritera plus aucun regret.

Une autre loi des langues populaires, c’est la nuance locale, la variation d’un groupe de population à un autre, ce que les Grecs appelaient le dialecte. Ainsi le picard et le normand vont se perdre dans le provençal, le rouchi ou wallon dans le gascon et le catalan, par des transformations presque insensibles et pour ainsi dire infinitésimales. Le bressau se nuance déjà à Cornimont et à Ventron, et va par degrés se