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Quand cette loi d’euphonie ne fait pas apparaître un e sonore là où nos habitudes nous font préjuger qu’il existe un e muet, c’est que effectivement celui-ci n’existe pas. Ainsi, à la vue de rvéni—revenir, on présumerait assez naturellement que rv devrait être rev en réalité ; et ce serait une erreur ; pour prononcer cette phrase : elle revient en bon bressau, il faut dire : elle érviè ; il faut mettre un e sonore (réveillé), non pas après r, mais devant ; réviè n’est pas un mot de l’idiome.

En se réveillant, l’e muet sonne ou bien é, ou bien è, ou bien eu, sans que l’une ou l’autre différence puisse être laissée à l’arbitraire : 1° il sonne é dans les deux premiers cas d’intermittence marqués plus haut, c’est-à-dire, dans tous les monosyllabes dont il est la voyelle, et dans les mots où il est la voyelle de la syllabe initiale : le, me, tepi (pot)—tépi, bedu (perdu)—bédu ; 2° il sonne è dans l’intérieur des verbes où il est la voyelle du thème : moukhena (= moukhna) moissonner, i moukhenè (= moukhnè)—je moissonne, té moukhène—tu moissonnes ; ène alande grauheli (= grauhli) khu l’òrêre di ta—une hirondelle gazouillait sur le bord du toit, ène alande grauhèle—une hirondelle gazouille ; 3° il sonne eu, quand étant la voyelle d’une syllabe finale appuyée sur deux consonnes, il est suivi d’un mot qui commence encore par une consonne ; ainsi on dira bien : in âbre esseulè — un arbre creux comme un cylindre, mais l’e final d’âbre doit devenir sonore et sonner eu dans cette autre position : in âbre (= abreu) hlênè—un arbre élancé[1] : in prókhte auhan

  1. On voit se produire ici la différence déjà annoncée plus haut relativement au groupe de l’r avec une autre consonne, qui ne compte que pour une seule au commencement du mot, mais bien pour deux au milieu, surtout à la syllabe finale en e muet. Le groupe semble s’y briser pour laisser l’une des deux consonnes à la syllabe précédente et l’autre à la suivante : larme = lar-me, abre = ab-re.