Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 9, 1866.djvu/533

Cette page n’a pas encore été corrigée

les corriger, pour avoir soin d’eux, pour réprimer leurs écarts, et il ne rougit pas de sa minutieuse sollicitude. La charité, en effet, est au-dessus de l’humiliation ; elle a comme des ailes d’or, pour cacher tous les défauts de l’objet aimé. C’est ainsi que Jonathas aimait David. Quand son père lui disait : « Fruit des « amours de quelque fille complaisante, jeune « efféminé » (1Sa. 20,30), il ne rougissait pas, et c’étaient là pourtant des paroles bien insultantes. C’était lui dire : Fils de quelque femme folle de son corps qui provoque les passants, être sans force et sans courage qui n’a rien de viril, c’est pour ta honte et pour celle de ta mère que tu vis. Eh bien ! Jonathas s’est-il irrité de ces insultes ? A-t-il été cacher sa honte ? S’est-il éloigné de son ami ? Et pourtant c’était un fils de roi que Jonathas, et David n’était qu’un vagabond. Malgré cela, il n’a pas rougi de son ami ; car la charité n’a jamais lieu de rougir. Ce qu’il y a d’admirable en elle, c’est qu’elle ôte à l’affront tout ce qu’il a de poignant, pour faire trouver, dans ses morsures, une sorte de douceur : aussi Jonathas outragé s’éloigna-t-il de David en l’embrassant, comme s’il venait de recevoir la couronne. C’est que la charité ne connaît pas d’affront. Que dis-je ? Elle trouve de la douceur dans les outrages qui font rougir les autres. Ce qu’il y a de honteux, en effet, c’est de ne pas savoir aimer, c’est de ne pas savoir tout braver et tout souffrir pour l’objet aimé. Quand je dis tout, je ne veux pas dire qu’il faille prêter à un ami un coupable ministère. Il ne faut pas s’employer pour lui auprès d’une femme qu’il aime, il ne faut pas lui accorder quelque honteuse demande. Ce ne serait pas là de l’amitié, et c’est ce que je vous ai démontré plus haut, à propos de la femme égyptienne. Celui-là seul sait aimer qui comprend les véritables intérêts de son ami. Celui qui n’a pas un but honorable aura beau protester de son attachement pour vous ; il sera toujours votre plus grand ennemi. Ainsi Rébecca qui était fort attachée à son fils, commit une fraude, sans rougir ni sans craindre d’être surprise, en s’exposant à un péril assez grand. Et, comme une contestation s’était élevée entre le fils qui résistait et la mère, elle lui dit : « Que ta malédiction soit sur moi, mon fils ». (Gen. 27,13)
3. Et voyez-vous l’âme apostolique de cette femme ? De même que saint Paul (pour comparer les petites choses aux grandes) consentait à être anathème pour les Juifs, ainsi cette femme, pour que son fils fût bien, consentait à être maudite. Elle lui cédait tout le fruit de cette bénédiction ; car elle ne devait pas le partager avec lui. Elle était préparée à tous les malheurs. Et pourtant elle se réjouissait, elle pressait son fils et, malgré l’imminence et la grandeur du péril, elle était impatiente de tout retard. Elle craignait que la soudaine arrivée d’Ésaü ne fît échouer sa ruse. Aussi comme sa parole est concise ! Comme elle presse le jeune homme ! Elle se laisse d’abord contredire, puis elle lui donne une raison qui doit suffire pour le décider. Elle ne lui dit pas Tes objections sont vaines et tes craintes sans motif, puisque ton père est vieux et aveugle. Elle lui dit : Que ta malédiction soit sur moi, mon fils ! Profite seulement du moyen que je t’offre et ne laisse pas échapper le trésor que te livre l’absence de ton frère. Et Jacob lui-même ne fut-il point, durant sept années, un mercenaire aux gages dé son parent ? Cette condition servile et la substitution qu’il fut obligé d’admettre n’en faisaient-elles pas un objet de risée ?
Eh bien ! se montra-t-il sensible au ridicule ? Se crut-il déshonoré, pour avoir, lui homme libre né de parents libres, lui qui avait reçu une éducation libérale, souffert de la part de ses parents les traitements qu’on inflige aux esclaves, traitements d’autant plus durs que les outrages de nos proches sont les plus poignants de tous ? Non ; Jacob ne se crut point déshonoré. Il était soutenu par sa tendresse pour sa race. La charité abrégeait pour lui le temps de ces longues épreuves. « Il lui semblait qu’il n’avait que quelques jours à souffrir » (Gen. 29,30), tant il s’en fallait que son esclavage fût pour lui un tourment et une honte ! Saint Paul avait donc raison de dire : « La charité n’a point à rougir de ses actes ; elle ne cherche pas son avantage, elle ne s’irrite pas ». Après avoir dit qu’elle n’a point à rougir de ses actes, l’apôtre nous dit pourquoi : « C’est qu’elle ne cherche point son avantage ». L’objet aimé est tout pour elle, et c’est lorsqu’elle ne peut l’arracher aux suites d’une action honteuse qu’elle croit avoir à rougir. Son déshonneur, s’il pouvait servir à l’objet aimé, ne serait point un déshonneur pour elle ; car votre ami c’est vous. Quand l’amitié existe-t-elle en effet ? C’est lorsque