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qu’à cause de la vision que j’ai eue, et de mes songes, ils ont voulu me déchirer ; qu’à cause de mes songes, ils m’ont accusé ; que l’affection que vous avez pour moi est pour eux un crime qu’ils veulent me faire expier ? Que ne feront-ils pas, s’ils me tiennent entre leurs mains ? Joseph ne dit rien de pareil, ne pensa rien de tel ; il préféra ses frères à toutes choses. Aussi fut-il, par la suite, comblé de toute espèce de biens, qui rendirent son nom illustre et glorieux. C’est ainsi que Moïse (car rien n’empêche de faire mention de lui une seconde fois, rien n’empêche que nous considérions comment il a dédaigné ses intérêts et cherché le bien des autres) ; il était dans le palais du roi ; il préféra l’opprobre de son peuple aux richesses de l’Égypte ; il renonça à tous les biens qu’il avait à sa disposition ; il aima mieux partager les maux des Hébreux ; et, loin d’être réduit lui-même en servitude, au contraire, il affranchit ses frères. Voilà de grandes choses, et dignes des anges.
4. Mais la vertu de Paul atteint un bien plus haut degré d’excellence. En effet, tous les autres ont abandonné leurs biens pour partager les maux du prochain ; mais Paul a fait beaucoup plus il ne lui a pas suffi de partager les malheurs d’autrui, mais il a voulu se réduire lui-même à l’état le plus misérable, pour donner aux autres la félicité. Et ce n’est pas la même chose, quand on est dans les délices, de répudier les délices pour partager l’affliction des autres, ou de choisir les tourments, l’affliction, uniquement pour procurer à d’autres une vie tranquille et honorée. En effet, dans le premier exemple, quoique ce soit une belle œuvre, d’échanger le bien qu’on a, contre des maux qu’on subit en vue du prochain, il y a toutefois une certaine consolation à trouver des compagnons de son infortune ; mais vouloir souffrir seul pour que d’autres jouissent de la félicité, c’est le propre d’une âme singulièrement généreuse, et c’est le caractère de Paul.
Mais ce n’est pas seulement par cette noblesse de sentiments, c’est par un autre caractère de sublime vertu, qu’il surpasse encore, de beaucoup, tous ceux que nous avons nommés. Abraham, et tous les autres, n’ont affronté que les périls de la vie présente ; tous ces personnages n’ont bravé qu’une fois notre mort. Eh bien, Paul demandait à déchoir de la gloire à venir, pour assurer le salut des autres. Je puis encore vous dire un troisième trait de l’excellence supérieure de Paul. Quel est-il ? Quelques-uns de ces personnages s’intéressaient sans doute à ceux qui avaient voulu les perdre eux-mêmes ; toutefois, ils ne s’intéressaient qu’à des hommes confiés à leur autorité. Et il y avait, en cela même, pour eux, un intérêt comme celui que porterait un père à un fils, dépravé sans doute, à un fils criminel, qui, après tout, n’en serait pas moins son fils. Eh bien, Paul voulait être anathème, pour qui ? pour ceux qui ne lui avaient pas été confiés. En effet, il avait été envoyé aux gentils. Avez-vous bien compris cette grandeur d’âme, cette hauteur de pensée qui s’élève au-dessus du ciel même ?
Imitez-le ; si vous ne pouvez pas l’imiter, imitez au moins ceux dont les figures ont brillé dans l’Ancien Testament. Vous trouverez votre utilité, en veillant à l’utilité du prochain. Ainsi, quand vous vous sentirez peu de zèle pour l’intérêt d’un frère, pensez que vous n’avez pas d’autre moyen de vous sauver vous-mêmes, et, par intérêt pour vous au moins, veillez sur votre frère, et sur ce qui le touche. Ces paroles suffisent pour nous persuader que nous n’avons pas d’autre moyen d’assurer nos intérêts propres. Voulez-vous des exemples ordinaires pour confirmer cette vérité ? Je suppose quelque part une maison qui brûle ; des gens du voisinage, ne considérant que leur intérêt, ne se mettent pas en mesure contre le danger ; ils ferment les portes, ils restent chez eux parce qu’ils ont peur qu’on n’entre et qu’on ne les vole. Quel ne sera pas leur châtiment ? Le feu, s’avançant, grandissant toujours, brûlera tout ce qu’ils ont chez eux, et, pour n’avoir pas voulu prendre à cœur l’utilité du prochain, ils perdront même ce qu’ils possèdent. Dieu, en effet, a voulu ne faire de tous les hommes qu’un faisceau, et voilà pourquoi il a disposé toutes choses de telle sorte que l’intérêt de chacun se trouve nécessairement lié à l’intérêt du prochain. Et c’est ainsi que le monde forme un tout si bien agencé. Voilà pourquoi, si, dans un navire, au moment de la tempête, le pilote, négligeant l’intérêt du grand nombre, ne cherche que sa propre utilité, il s’engloutit et lui-même, et les autres bien vite avec lui. Et prenez toutes les conditions de la vie, une à une ; que chaque profession ne recherche que son intérêt propre, c’en est fait de la vie générale, et c’en est fait de la