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que c’est un grand bonheur de pouvoir enlever le bien des autres, et que vous lui témoignez au contraire que vous êtes très disposé à lui donner même ce qu’il ne vous demande pas, que vous opposez votre générosité à sa bassesse, et votre libéralité à son avarice ; combien est grande l’instruction que vous lui donnez, puisque vous lui apprenez, non par vos paroles, mais par vos actions, à mépriser le vice, et à désirer la vertu !
Dieu veut que nous soyons utiles non seulement à nous-mêmes, mais à tous nos frères. Si vous ne donnez que ce qu’on vous dispute, pour éviter un procès, vous ne recherchez en cela que votre utilité particulière ; mais si vous y ajoutez ce qu’on ne vous demande pas, vous convertirez votre frère, vous le rendrez meilleur. Jésus-Christ compare ses disciples au sel. Le sel se conserve lui-même, et il conserve encore toutes les choses auxquelles on le mêle. Ainsi l’œil s’éclaire lui-même, et il éclaire aussi le reste du corps. Puisque telle est la fonction que Jésus-Christ vous donne, assistez votre frère qui est assis dans les ténèbres. Agissez avec lui, comme s’il ne vous avait fait aucun tort ; persuadez-lui qu’il ne vous a pas même lésé. Ainsi il admirera votre vertu, et il semblera que vous lui aurez plutôt donné ce qu’il vous avait ravi, qu’il ne vous l’a pris. Faites de son péché l’honneur de votre générosité. Et si vous croyez que ce que je vous dis soit trop élevé, écoutez la suite. Vous trouverez, que quand vous feriez ce que je vous dis, vous ne seriez pas encore parfait. Car Jésus-Christ ne termine pas là la patience qu’il exige de vous ; mais il l’étend encore plus loin. « Si quelqu’un veut vous contraindre à faire « mille pas avec lui, faites-en encore deux mille autres (41). » Voilà, mes frères, le comble de la perfection. Après avoir donné votre robe et votre manteau, dit Jésus-Christ, si votre ennemi veut encore que dans cette nudité de votre corps vous le serviez et vous souffriez quelque peine et quelque travail, ne vous y opposez pas. Il veut que tout soit commun parmi nous, non seulement nos biens, mais notre corps, et que nous en fassions également part, et aux pauvres, et à nos ennemis, parce que le premier est l’effet de la charité ; et le second, de la générosité. C’est pourquoi il dit : « Si quelqu’un veut vous contraindre à faire mille pas avec lui, faites-en encore deux mille autres. » Il vous élève encore plus haut, et il veut que vous soyez généreux dans cette occasion comme dans l’autre. Car si ce qu’il ordonne d’abord, quoique beaucoup inférieur à ces dernières ordonnances, ne laisse pas d’avoir ces grandes béatitudes pour récompense, que doivent attendre ceux qui auront pratiqué ces préceptes si sublimes, et qui dès ici-bas dans un corps mortel et passible auront paru comme spirituels et impassibles ? Car puisque ni les affronts, ni les plaies, ni la perte des biens ne les touchent point, puisque tous les maux semblables ne les peuvent vaincre, et que plus ils souffrent, plus ils deviennent patients et généreux, quelle doit être la perfection et la pureté de leur âme ? C’est pourquoi Jésus-Christ commande en cet endroit la même chose pour le travail du corps, qu’il a commandé auparavant pour souffrir la violence, et la perte de nos biens. Comme s’il disait : ce n’est pas assez de souffrir qu’on vous vole, et qu’on vous outrage ; mais si de plus on veut abuser de votre peine en vous faisant marcher loin, et en vous imposant un grand travail, embrassez-le de bon cœur, et mettez-vous au-dessus de cette injustice par votre vertu, et votre courage. « Si quelqu’un veut vous contraindre », c’est-à-dire : s’il vous entraîne par force, sans avoir raison, et par une pure violence, ne vous impatientez pas néanmoins, et soyez prêt à souffrir encore plus de mal, qu’il ne sera disposé à vous en faire. « Donnez à celui qui vous demande, et ne rejetez point celui qui veut emprunter de vous (42). » Ce commandement n’est pas si grand ni si difficile que celui qui précède. Mais ne vous en étonnez pas. Le Seigneur agit ainsi d’ordinaire, il mêle ses grands préceptes avec les petits. Que si ceux-ci paraissent légers en comparaison des autres, que diront ceux qui volent le bien de leurs frères, et donnent le leur à des femmes prostituées : qui s’allument ainsi un double feu par ces injustes richesses qu’ils amassent, et par ces honteuses profusions qu’ils en font ?
Cet emprunt dont parle Jésus-Christ, ne doit pas s’entendre de ces sortes d’emprunts dont on tire usure ; mais du simple argent qu’on prête sans intérêt. Et il va plus loin ailleurs, lorsqu’il nous commande de donner à ceux de qui nous n’espérons rien recevoir. « Vous avez appris qu’il a été dit : Vous