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foulent aux pieds, et que se retournant, ils ne vous déchirent. (Mt. 7,6)
C’est ce qui arriva alors : Eve jeta devant le démon, ce pourceau immonde et cette bête farouche, les perles du précepte divin ; et cet esprit mauvais, qui agissait par l’organe du serpent, les foula indignement par ses audacieux mensonges ; bien plus, se retournant ensuite contre la femme, il la fit tomber, ainsi que l’homme, dans l’abîme de la désobéissance, tant il est dangereux de révéler indistinctement les secrets divins ! Avis à ceux qui causent de religion indifféremment avec tous ! Car Jésus-Christ, dans cet endroit de l’Évangile, désigne bien moins des pourceaux véritables que ces hommes dont les mœurs sont dépravées, et qui se plongent, comme de vrais pourceaux, dans la fange du péché. Il nous enseigne donc à observer les personnes et les mœurs de ceux auxquels nous expliquons les enseignements de la religion, de peur que ces entretiens ne nous soient mutuellement nuisibles. Car, outre que des esprits de ce caractère ne profitent guère de nos paroles, ils entraînent souvent dans l’abîme ceux qui, sans nulle discrétion, répandent devant eux ces perles divines. Ainsi, soyons en cela prudents et réservés, afin de ne pas nous laisser séduire comme nos premiers parents. Car si la femme n’eût point jeté les perles devant ce pourceau, elle n’eût point désobéi elle-même à Dieu et n’eût point entraîné l’homme dans son péché.
3. Mais écoutons la réponse de la femme. Le tentateur demande : pourquoi Dieu vous a-t-il dit : Ne mangez pas de tous les fruits des arbres du Paradis ? et la femme lui répond : Nous mangeons du fruit de tous les arbres de ce jardin ; mais pour le fruit de l’arbre qui est au milieu du jardin, Dieu nous a dit : N’en mangez point et n’y touchez point, de peur que vous ne mouriez. Voyez-vous la malice du démon ? il avait avancé un mensonge, afin d’engager la conversation et d’apprendre ainsi quel était le commandement du Seigneur. Et, en effet, la femme trop confiante en sa prétendue bienveillance, lui découvrit, avec le précepte, toute l’économie des, décrets divins ; mais elle s’enleva ainsi tout moyen de défense. Eh ! que pouviez-vous, ô femme, répondre à une telle parole : Le Seigneur a dit : Ne mangez pas de tous les fruits des arbres du Paradis ? vous deviez soudain chasser cet insolent, qui osait parler autrement que Dieu, et lui dire : Retire-toi, imposteur ; tu ignores l’importance du commandement qui nous est fait, et tu ne connais ni les biens dont nous jouissons, ni l’abondance où nous sommes de toutes choses. Tu oses dire que Dieu nous a défendu l’usage des fruits de ce jardin ! mais, tout au contraire, le Dieu créateur a daigné, dans son immense bonté, nous permettre de jouir de toutes choses et de manger de tous les fruits, à la réserve d’un seul, qu’il a excepté dans notre intérêt, de peur que nous ne mourions.
C’est ainsi que la femme eut dû repousser le tentateur, et la plus légère prudence lui conseillait de rompre l’entretien et de ne point le prolonger. Mais, peu contenté d’avoir révélé au démon le précepte et le commandement divin, elle prêta l’oreille à ses perfides et dangereux conseils ; la femme avait dit : Nous mangeons du fruit des arbres de ce jardin, mais pour le fruit de l’arbre qui est au milieu du jardin, Dieu nous a dit : Ne mangez pas de ce fruit et n’y touchez point, de peur que vous ne mouriez ; et voilà que l’esprit mauvais lui souffle un conseil tout opposé à celui de Dieu. C’était par un trait de providence envers l’homme, et pour le soustraire à la mort, que le Seigneur lui avait fait cette défense ; mais le démon dit à Eve : Vous ne mourrez pas. Comment excuser une telle imprudence ? et comment Eve put-elle prêter l’oreille à un si audacieux langage ? Dieu avait dit : Ne mangez point de ce fruit, de peur que vous ne mouriez ; et le démon ose lui dire : Non, vous ne mourrez point. En outre, il ne lui suffit pas de contredire la parole divine, il accuse encore le Créateur d’agir par esprit de jalousie, et il conduit sa fourberie avec tant d’adresse qu’il séduit la femme et réalise ses iniques projets. Non, vous ne mourrez point, dit-il, mais Dieu sait que le jour où vous aurez mangé de ce fruit, vos yeux s’ouvriront et que vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal. (Gen. 3,5)
Voilà donc l’appât funeste et le poison mortel que le démon présente à la femme, et celle-ci ne soupçonne pas le danger, quoique, dès le principe, il lui soit bien facile de le reconnaître. Mais en apprenant que si Dieu leur avait fait cette défense, c’était parce qu’il savait que leurs yeux seraient ouverts, et qu’ils seraient eux-mêmes comme des dieux, connaissant le bien et le mal, elle s’enorgueillit de cette flatteuse espérance et conçut de superbes pensées,