Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 5, 1865.djvu/98

Cette page n’a pas encore été corrigée

le Seigneur Dieu avait créés sur la terre, et le serpent dit à la femme : Pourquoi Dieu vous a-t-il dit : ne mangez pas du fruit de tous les arbres qui sont dans le paradis ?
Voyez-vous la noire jalousie du démon, et ses embûches multipliées ! il ne put souffrir que l’homme fût placé dans un rang d’honneur qui l’égalait presque aux anges. Et en effet, le Psalmiste dit de l’homme : Seigneur, vous l’avez un peu abaissé au-dessous des anges (Ps. 8, 6) ; et encore, cette expression, un peu abaissé se rapporte-t-elle à l’état qui a suivi le péché de la désobéissance, puisque David parlait après la chute de l’homme. Le démon voyait donc que l’homme était un ange sur la terre, et la vue de son bonheur faisait sécher d’envie cet auteur de tous les maux. Car lui-même avait fait partie des chœurs célestes, mais sa volonté mauvaise et sa grande malice l’avaient précipité du plus haut des cieux. C’est pourquoi il tenta de rendre l’homme désobéissant, afin que lui faisant perdre la grâce divine, il pût le dépouiller des biens dont le Seigneur l’avait enrichi. Comment s’y prit-il ? Il se servit du serpent, qui était le plus rusé de tous les animaux, ainsi que nous l’apprend : Moise : Or, le serpent était le plus rusé de tous les animaux que le Seigneur Dieu avait créés sur la terre. Ce fut l’instrument qu’il mit en œuvre pour tromper la femme, et pour la séduire par une insidieuse familiarité, comme étant plus faible et plus simple que l’homme. Et le serpent dit à la femme. Cet entretien nous montre que dans le principe, ni l’homme, ni la femme n’avaient frayeur des animaux, et que ceux-ci reconnaissaient tous leur empire et leur autorité. Les bêtes sauvages et féroces étaient alors aussi soumises que le sont aujourd’hui les animaux domestiques.
2. Ici peut-être me demandera-t-on si le serpent était doué de raison. Assurément non et le sens de l’Écriture est que ce fut le démon qui emprunta son organe, et qui trompa l’homme par un effet de sa noire jalousie. Le serpent ne fut donc que l’instrument docile de sa malice, et il s’en servit pour tenter d’abord la femme, comme étant plus faible, et ensuite pour entraîner, par elle, le premier homme. Ainsi, il dressa ses embûches par l’intermédiaire du serpent, et, par son organe, il entra en conversation avec la femme : Pourquoi lui demanda-t-il, Dieu vous a-t-il dit : ne mangez pas du fruit de tous les arbres qui sont dans le paradis ? Mais, considérez la malice de cet esprit artificieux. On dirait qu’il ne veut qu’insinuer une bonne pensée, et qu’il n’interroge la femme sur cette défense que par le motif d’un tendre intérêt. C’est ce que montre lien cette parole : Pourquoi Dieu vous a-t-il dit : Ne mangez pas du fruit de toits les arbres qui sont dans le paradis ?  » Cet esprit mauvais semble lui dire : Pourquoi Dieu vous a-t-il interdit une si douce jouissance ? et pourquoi ne vous a-t-il pas accordé l’usage de tous les fruits que produit ce jardin ? il ne vous en a permis la vue que pour vous en rendre la privation plus pénible et plus amère. Pourquoi Dieu vous a-t-il dit ? Eh quoi ! ajouta-il encore, y a-t-il réellement pour vous avantage d’habiter ce jardin, puisque vous ne pouvez jouir de ses productions ? ou plutôt n’est-ce pas un véritable supplice que de voir ces beaux fruits, et de ne pouvoir en manger ?
Observez comme des paroles insinuèrent le poison dans le cœur de la femme. Elle devait dès le début soupçonner la malice de son interlocuteur, car il lui mentait sciemment, et ne semblait lui porter intérêt que pour connaître le commandement du Seigneur, et l’engager ensuite à le transgresser. Eve pouvait donc apercevoir facilement l’imposture ; et elle devait soudain repousser les paroles de l’esprit mauvais et ne point devenir le jouet de sa malice : mais elle ne le voulut pas. Il fallait, dis-je, que dès le principe elle rompît l’entretien, et que, désormais, elle se bornât à parler à l’homme pour qui seul elle avait été formée, et dont elle était la compagne et l’égale, non moins que l’aide et la consolation. Mais elle se laissa, je ne sais comment, engager dans ce funeste colloque, et elle écouta les insidieuses paroles que le démon lui adressait par l’organe du serpent. Du moins il lui était aisé de reconnaître que ces paroles n’étaient que tromperie et mensonge, puisqu’elles affirmaient tout le contraire de ce que Dieu leur avait commandé. C’est pourquoi à l’instant même elle eût dû prendre la fuite, rompre toute relation et maudire cet esprit méchant qui osait censurer les ordres du Seigneur. Mais Eve fut si légère et si irréfléchie que, loin de fuir, elle révéla au démon le précepte divin, et, selon l’expression de l’Évangile, elle jeta des pierres précieuses devant un pourceau. Ainsi elle agit contre ce commandement du Sauveur : Ne jetez pas vos perles devant les pourceaux, de peur qu’ils ne les