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dire que le mot Seigneur signifie quelque chose de plus grand que le mot Dieu ? c’est une absurdité et un affreux blasphème : mais dès que l’on s’écarte des règles d’une saine interprétation de l’Écriture, et que l’on ne suit que son propre raisonnement, on déraisonne, et l’on soulève contre la vraie doctrine mille disputes inutiles et oiseuses.
Et le Seigneur Dieu prit l’homme qu’il avait formé, et il le plaça dans le jardin de délices, pour qu’il le cultivât et qu’il le gardât. Admirez ici les soins de la Providence à l’égard de l’homme : hier, l’écrivain sacré nous disait gaie Dieu avait planté un jardin de délices, et qu’il y avait placé l’homme pour qu’il y demeurât et qu’il y jouît de ses divers agréments ; mais voici qu’aujourd’hui Moïse revient encore sur cette ineffable bonté du Créateur, et il nous (lit une seconde fois que le Seigneur Dieu prit l’homme qu’il avait formé, et qu’il le plaça dans un jardina de délices ; et observez qu’il ne dit pas seulement : et Dieu le plaça dans un jardin, mais : dans un jardin de délices, pour nous faire entendre combien cette demeure était agréable. Après avoir ainsi rapporté que Dieu plaça l’homme dans un jardin de délices, il ajoute afin qu’il le cultivât et qu’il le gardât. C’est ici encore le trait d’une amoureuse Providence. Et en effet, au milieu des délices de ce jardin, où tout réjouissait sa vue et flattait ses sens, l’homme eût, pu s’enorgueillir de l’excès de son bonheur ; car l’oisiveté enseigne tous les vices. (Sir. 33,29) Aussi le Seigneur lui commanda-t-il de cultiver ce jardin et de le garder.
Mais, direz-vous, le paradis terrestre avait-il donc besoin des soins de l’homme ? Non sans doute ;. et cependant, le Seigneur voulut que la garde et la culture de ce jardin offrissent à l’homme une occupation douce et modérée. Supposez-le entièrement oisif, et cette grande oisiveté n’eût pas tardé à le rendre paresseux et négligent. Une occultation douce et facile le maintenait au contraire dans une humble dépendance. Et en effet, ce mot : pour qu’il le cultivât, n’est point mis ici sans motif, et il signifie que l’homme ne devait pas oublier que Dieu était son maître, et qu’il ne lui avait donné la jouissance de ce jardin de délices qu’à la condition d’en avoir soin ; car le Seigneur fait toutes choses pour l’utilité de l’homme, soit qu’il le comble de bienfaits, soit qu’il lui donne la liberté d’en abuser. Nous n’existions pas encore, que déjà son immense bonté nous avait préparé les biens ineffables du ciel. C’est ce que nous apprennent ces paroles de Jésus-Christ : Venez, les bénis de mon Père, possédez le royaume qui vous a été préparé avant la création du monde. (Mt. 25,34) Mais, à plus forte raison, cette même bonté nous fournit-elle abondamment les biens de la vie présente.
3. Rappelons, en quelques mots, les bienfaits du Seigneur à l’égard de l’homme. D’abord il le tira du néant, et il forma son corps du limon de la terre ; il répandit ensuite sur son visage un souffle divin, et lui communiqua ainsi le don inestimable d’une âme spirituelle ; enfin, il créa pour lui un jardin de délices, et il l’y plaça. Peu satisfait encore, comme un bon père qui aime son enfant, Dieu semble craindre qu’au sein d’un entier repos et d’une pleine liberté, l’homme, jeune et inexpérimenté, ne s’enfle d’orgueil et de vanité ; c’est pourquoi il songe à lui donner une occupation douce et modérée. Le Seigneur commanda donc à Adam de cultiver et de garder le paradis terrestre, afin qu’au milieu des délices de ce séjour et de la sécurité d’un paisible repos, ce double soin le retînt dans les limites d’une humble dépendance. Tels sont les premiers bienfaits que le Seigneur accorde à l’homme immédiatement après sa création ; et ceux qui vont suivre n’attesteront pas moins son extrême bonté et sa souveraine bienveillance.
Or, que dit l’Écriture ? Et le Seigneur Dieu fit une recommandation à Adam. Ici encore l’écrivain sacré, selon son habitude, joint ces deux mots : Seigneur et Dieu, afin de mieux nous inculquer la vraie doctrine et confondre ceux qui, osant établir entre eux quelque distinction, attribuent l’un de ces noms au Père, et l’autre au Fils. Et le Seigneur Dieu fit une recommandation à Adam. Quel trait de bonté dans ce seul mot : Dieu fit une recommandation ! Qui ne l’admirerait ! et quelle parole pourrait dignement l’exprimer ! Car voyez comme, dès le principe, Dieu respecte la dignité de l’homme : il ne lui intime ni un ordre absolu, ni un commandement exprès ; mais il lui fait une simple recommandation. Comme un ami traite avec son ami d’une affaire importante, ainsi le Seigneur traite avec Adam. On dirait qu’il veut l’engager, par un sentiment d’honneur, à se montrer soumis et obéissant.