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raisonnable, doux et bienveillant, agisse contre sa nature, et par sa négligence, imite dans ses mœurs la férocité des bêtes farouches.
Aussi l’Écriture, pour désigner les diverses passions qui dominent en nous, donne-t-elle à l’homme doué de raison le nom de différents animaux. C’est ainsi que, dans son langage, le mot chien indique l’impudence et la violence. Ce sont des chiens muets, et qui ne savent pas aboyer. (Is. 56,10) Le cheval représente l’effervescence de la volupté : Ils sont devenus comme des chevaux qui courent et qui hennissent après les cavales : chacun d’eux a poursuivi la femme de son prochain. (Jer. 5,8) Quelquefois l’âne marque la grossièreté et la stupidité du pécheur : L’homme est comparé aux animaux qui n’ont aucune raison, et il leur est devenu semblable. (Ps. 48,13) Tantôt elle nomme les hommes lions et léopards par allusion à leurs appétits féroces et voraces, et tantôt aspics à cause de leur esprit fourbe et trompeur. Leurs lèvres, dit le Psalmiste, recèlent le venin de l’aspic. (Ps. 139,4) Enfin elle les assimile au serpent et à la vipère, en raison du poison caché de leur malignité. Aussi. 1e saint précurseur disait-il aux pharisiens : Serpents, et race de vipères, qui vous a montré à fuir la colère qui s’approche ? (Mt. 3,7) L’Écriture donne encore aux hommes d’autres noms, afin de caractériser leurs différentes passions, et les rappeler par une honte salutaire au sentiment de leur noblesse. Ah ! Puissent-ils ne pas dégénérer de leur origine, et préférer la loi du Seigneur à ces passions criminelles qui les ont entraînés dans le péché !
4. Mais je ne sais comment je me suis écarté de mon sujet. J’y rentre donc, et j’aborde les diverses instructions que renferme le récit de l’écrivain sacré. Après avoir dit : Ceci est le livre de la création du ciel et de la terre, il nous raconte en détail la formation de l’homme ; sans doute, il nous avait déjà appris que Dieu avait fait l’homme, et qu’il l’avait fait à son image ; mais ici il s’exprime plus explicitement : Dieu, dit-il, forma l’homme du limon de la terre, et il répandit sur son visage un souffle de vie, et l’homme eut une âme vivante. (Gen. 2,7) Combien ces paroles sont grandes et admirables ! et combien elles surpassent notre intelligence ! et Dieu forma l’homme du limon de la terre. En parlant de toutes les créatures visibles, je vous disais que souvent le Créateur, pour montrer sa toute-puissance, agissait contrairement aux lois de la nature, et nous trouvons la même conduite dans la création de l’homme. C’est ainsi qu’il a établi la terre au-dessus des eaux, ce qu’en dehors de la foi notre raison ne saurait concevoir. C’est ainsi encore qu’à son ordre tous les éléments produisent des effets opposés à leur nature. L’Écriture nous apprend quelque chose de semblable dans la formation de l’homme, en nous disant que Dieu le forma du limon de la terre.
Que dites-vous ? quoi ! Dieu a pris un peu de terre, et en a formé l’homme l Oui, il en est ainsi ; Moïse nous l’assure ; et même il ne se contente pas de dire que Dieu prit de la terre, mais du limon, c’est-à-dire tout ce qu’il y a de plus vil et de plus méprisable. Véritablement, on serait tenté de taxer ce récit de fable et de paradoxe ; mais dès qu’on se rappelle quel est l’auteur de ces merveilles, on les croit aisément, et l’on adore humblement la puissance du Créateur. Car si vous voulez mesurer les œuvres divines à la faiblesse de vos pensées, et les scruter curieusement il vous paraîtra bien plus naturel qu’on forme du limon de la terre une brique ou un vase que le corps de l’homme. Vous le voyez donc, pour comprendre toute la sublimité du langage de Moïse, il nous faut le méditer attentivement, et réprimer l’infirmité de la raison. Car, l’œil de la foi peut seul découvrir ces merveilles, quoique l’historien sacré ait proportionné sa parole à la faiblesse de notre intelligence. Et en effet, lorsqu’il nous dit que Dieu forma l’homme, et qu’il répandit sur lui un esprit de vie, ne semble-t-il pas descendre dans un détail indigne de la majesté divine ? mais l’Écriture s’exprime ainsi par condescendance pour notre faiblesse, et elle s’abaisse jusqu’à la petitesse de notre esprit pour l’élever ensuite jusqu’à la sublimité de ses révélations.
Et Dieu, prenant du limon, en forma l’homme. Certes, si nous voulons la comprendre, voilà une grande leçon d’humilité. Car, si nous réfléchissons sur l’origine de l’homme l’orgueil le plus superbe s’abaisse soudain, et la pensée de notre néant nous enseigne la modestie et l’humilité. Aussi, est-ce par un effet de sa providence à l’égard de notre salut que Dieu a inspiré à Moïse ce style et ce langage. Car déjà il avait dit que Dieu avait formé l’homme à son image, et qu’il lui avait donné l’empire sur toutes les créatures visibles. Mais ici, craignant que ce même homme ne s’enflât d’orgueil, et qu’il ne transgressât les limites d’une humble dépendance, s’il ignorait entièrement son origine, l’Écriture reprend le récit de sa création, et décrit en détail la manière dont il a été formé. Elle lui apprend donc qu’il a été formé de la terre, et de la même matière que les plantes et les animaux, au-dessus desquels il ne s’élevait que par l’âme, substance simple et immatérielle. Mais il tenait cette âme de la bonté divine, et elle était en lui le principe de la raison, et celui de son empire sur toutes les autres créatures. Malgré cette connaissance si explicite de son origine, le premier homme se laissa tromper par le serpent, et il s’imagina que lui, qui avait été formé du limon de la terre, pourrait devenir semblable à Dieu. Mais si Moïse n’eût ajouté à son premier récit des détails aussi précis, dans quelles extravagances ne serions-nous pas tombés !
5. C’est ainsi que l’histoire de notre origine est pour nous une grande leçon d’humilité. Et Dieu, dit l’Écriture, forma l’homme du limon de la terre ; et il répandit sur son visage un souffle de vie. Moïse parlait à des hommes qui n’eussent pu le comprendre, s’il ne se fût servi d’un langage aussi simple et aussi grossier. Il nous apprend donc que cet homme, formé du limon de la terre, reçut de la libéralité divine une âme essentiellement raisonnable, et qu’il devint ainsi un être parfait. Et Dieu, dit-il, répandit sur le visage de l’homme un souffle de vie. C’est ainsi qu’il désigne l’âme qui est dans l’homme, formé du limon de la terre, le principe de la vie, de l’action et du mouvement. Aussi, ajoute-t-il immédiatement : Et l’homme devint vivant et animé ; cet homme, dit-il,