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excès de démence ? Être homme mortel, entouré de choses périssables, exposé à mille vicissitudes, et concevoir une pareille illusion ? D’où lui vient-elle ! De la déraison. En effet, lorsqu’un homme déraisonnable, jouit d’une parfaite prospérité, qu’il triomphe de ses ennemis, qu’il se voit loué, admiré, il devient le plus malheureux des hommes. Faute de s’attendre aux changements de fortune, faute de porter sagement sa félicité, pour peu qu’il vienne à tomber dans l’adversité, il se trouble se déconcerte, parce qu’il n’y était point préparé. Il n’en fut pas ainsi de Job : jusque dans la félicité, il se préoccupait chaque jour du malheur : c’est pourquoi il dit : « La crainte que j’éprouvais m’est venue ; celle que j’aurais ressentie s’est réalisée pour moi. Je n’ai pas été en paix, en repos, je ne me suis point relâché : cependant la colère est venue pour moi. » (Job. 3,25-26) C’est pourquoi un autre encore a dit : « Souviens-toi du temps de disette au temps d’abondance, de la pauvreté et du besoin au jour de la richesse » (Sir. 18,25) Mais le pécheur dont il s’agit ici, une fois perverti, ne songe plus à la fragilité humaine, il croit que sa bonne fortune lui assure une félicité invariable : ce qui est un principe de folie, de perdition complète, une cause de ruine. N’allez donc point vanter le bonheur des riches, de ceux qui triomphent de leurs ennemis, de ceux qu’on félicite au sujet de ces prospérités. Autant de gouffres, de précipices profonds pour ceux qui ne prennent pas garde, c’est par là qu’on tombe jusqu’au fond de l’impiété. « Sa bouche est pleine de malédiction, d’amertume et de tromperie. Le travail et la douleur sont sous sa langue. (Ps. 9,7) » Un autre dit : « Inutilement, il se tient assis en embuscade avec des riches dans les lieux cachés, afin de tuer l’innocent. » Suivant un autre : « En embuscade auprès du palais, ses yeux regardent vers l’innocent. Il est en embuscade dans un lieu retiré comme un lion dans sa tanière. » D’après un autre : « Dans son fort, il complote d’enlever le pauvre, d’enlever le pauvre en l’attirant. » « Il l’humiliera dans son piège. » Un autre traduit « Dans son filet, il se penchera et tombera lorsqu’il sera devenu maître du pauvre. » Suivant un autre. « L’affligé sera courbé, lorsque celui-ci sera tombé avec ses forts sur les faibles. »
Voyez-vous que ce n’est plus qu’une bête féroce ? On dirait que le Prophète décrit un animal de ce genre, à voir comme il parle de ses ruses, de ses embuscades, de ses artifices. Et quoi de plus malheureux, de plus pauvre que cet homme réduit à convoiter le bien du pauvre ? L’appellerons-nous encore un riche, dites-moi ? Appelons donc ainsi les voleurs et les brigands. À Dieu ne plaise ! dira-t-on. Mais quoi ! s’il ne force pas les portes, s’il n’attaque pas pendant la nuit, n’emploie-t-il pas la ruse pour éteindre le flambeau du juge ? S’il ne choisit pas le moment où l’on dort, s’il opère l’iniquité sous les yeux de tous, n’en est-il pas que plus audacieux ? Les lois ne punissent-elles pas le vol du jour plus sévèrement que le vol de nuit ?
Voyez-vous combien il est pauvre ? Voyez-vous combien il est inhumain ? Pauvre, parce qu’il convoite le bien du pauvre. Inhumain, parce que le malheur ne peut le fléchir, et qu’au lieu de prendre en compassion la misère et de la secourir, il l’opprime. Mais tant de crimes ne restent pas impunis : quand il est victorieux, qu’il croit triompher, qu’il se flatte d’être invincible, c’est le moment de sa perte : afin qu’en cela éclate la puissance de Dieu, la patience du pauvre, l’obstination du pécheur et la longanimité divine. Voilà pourquoi le châtiment n’est pas instantané : Dieu, par sa patience, invite le coupable à la pénitence : mais quand ce délai demeure inutile, c’est par le châtiment que désormais il l’avertit. Quant aux opprimés, ils n’ont subi aucun dommage : ils sont devenus meilleurs et plus glorieux grâce à leurs tribulations. Dieu, de son côté, a déployé sa longanimité, sa patience, et du même coup, sa force, sa sagesse : car c’est quand le pécheur était au faîte de sa puissance qu’il en a triomphé. Pour l’incorrigible, il subit le plus rigoureux des châtiments, et c’est là un avertissement qui n’est pas d’une médiocre utilité pour les heureux.
11. Gardez – vous donc, s’il vous est donné de vaincre vos ennemis, si vous voyez toutes choses aller selon vos vœux, gardez-vous de vous abandonner avec confiance à l’iniquité ne soyez au contraire que plus circonspects. Car, si vous restez méchants, en même temps que votre perversité s’accroît, votre justification devient plus difficile, vos titres au pardon s’effacent. « Il a dit en son cœur : Dieu a oublié ; il