Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 5, 1865.djvu/601

Cette page n’a pas encore été corrigée

nous allions traîner nos pensées dans la fange, et parler le langage de l’avarice et de l’injuste cupidité !
2. Si vous le voulez, nous laisserons de côté les choses du ciel, et nous nous entretiendrons de la terre, de sa grandeur, de sa position, de son usage, de sa nature, de ses enfantements perpétuels, de ses productions diverses, des graines, des plantes, des arbres, des fleurs, des prairies, des jardins. Mettons à part maintenant la forme de chaque arbre, son port, sa hauteur, l’odeur qu’il exhale, ses fruits, la saison où il produit, les soins qu’il réclame, et le reste ; la fertilité de certains territoires, la stérilité qu’on remarque ailleurs : car il n’y a rien d’inutile sur la terre. Ici elle produit le fer, ou l’airain, ou l’or, ou l’argent : là les aromates, ou des médicaments de toute espèce. Que dire maintenant des services que nous rendent les eaux, soit potables, soit salées, les richesses des montagnes, la variété de leurs marbres, les fontaines qui en découlent, les arbres qu’elles produisent pour la construction des maisons ? Autant de fruits du désert, ajoutez-y les animaux, les bêtes sauvages qu’il nourrit. Que dire des lacs, des fontaines, des fleuves ? De même que les femmes qui viennent d’accoucher ont en elles une source de lait pour abreuver leurs nourrissons : ainsi la terre a des mamelles d’où jaillissent des fontaines et des rivières pour arroser jardins et vergers. Et encore, il faut que l’enfant s’approche pour boire au sein de sa mère : tandis que la terre d’elle-même présente la mamelle, et son lait découle de toutes les hauteurs.
Voici encore un autre usage du désert. C’est là que le corps se maintient le mieux en santé, qu’il respire l’air le plus pur : c’est là que l’on contemple de haut tout l’univers ; qu’on se plonge dans la philosophie de la solitude, qu’on devient étranger à tous les soucis du monde. Que dire de la voix mélodieuse des oiseaux, des animaux que l’on prend à la chasse ? autre bienfait : le désert est comme un rempart pour certains pays, grâce aux montagnes élevées, aux ravins, aux précipices, dont il les environne. Parlerai-je des plantes qui y viennent, productions si utiles aux corps attaqués par la maladie ? que si telle est l’utilité des déserts et des montagnes, tels sont les services qu’ils nous rendent, dès que nous arrivons aux terres labourables et aux plaines, songez quelle carrière nouvelle va s’ouvrir à nos récits. Ainsi que dans notre corps on distingue des os, des nerfs, des chairs enfin : de même la terre offre des montagnes, des ravins, de gras territoires, et tout cela est utile. Et pourquoi parler de la terre, cet immense élément ? Prenez seulement un arbre : si vous entreprenez d’en décrire la forme, l’usage, le fruit, les feuilles, la saison, et le reste, vous aurez une tâche considérable. Prenez pour texte la situation des montagnes et tout ce qui les concerne, ou bien l’homme lui-même et la configuration de son corps voilà encore une source inépuisable de récits. Appliquons-nous donc à tous ces objets : nous y trouverons un charme infini avec beaucoup d’avantages et une incomparable sagesse. Aussi David poursuit-il, afin d’indiquer cela : « Je me réjouirai et tressaillerai d’allégresse en vous. » Suivant un autre. « Et je me glorifierai, je chanterai votre nom, Très-Haut. » Ce n’est pas une faible marque de sagesse, que de se réjouir en Dieu. Celui qui se réjouit en Dieu. Comme il faut, écarte de lui toute joie mondaine. Mais qu’est-ce à dire : « Je me réjouirai en vous ? » Avoir un tel maître, veut-il dire, voilà mon bonheur, voilà ma joie. Si quelqu’un connaît cette joie comme il faut la connaître, il devient insensible à toute autre. Car c’est cela qui est proprement la joie : tout le reste n’en a que le nom, et manque de réalité. C’est elle qui ravit l’homme, elle qui affranchit l’âme de l’esclavage du corps, elle qui lui donne des ailes pour s’envoler au ciel, elle qui l’élève au-dessus du monde, elle qui la délivre du vice : et rien de plus naturel. En effet, si ceux qui s’éprennent des corps séduisants, ne s’aperçoivent pas de ce qui se passe autour d’eux et sont tout entiers à la pensée de l’objet aimé : ainsi celui qui aime Dieu comme il convient de l’aimer devient insensible à tout ce qu’il y a de bonheur et de peine en ce monde : il est au-dessus de tout : ses délices sont éternelles comme l’objet de son amour. Ceux qui placent ailleurs leur affection s’endorment bientôt dans un oubli involontaire, quand ceux qu’ils aimaient ont perdu leurs charmes : tandis que l’amour dont je parle est infini, impérissable ; les joies en sont plus vives ; le profit en est plus grand : et le plus puissant attrait qu’il offre à l’amant, c’est qu’il ne saurait jamais finir. « Je chanterai votre nom, Très-Haut. » C’est l’usage de ceux qui aiment. Les amants chantent des chansons en l’honneur de leur bien-aimée et ils se consolent ainsi de leur absence. Ainsi fait le Prophète : ne pouvant jouir de la vue de Dieu, il compose des chansons à sa gloire ; en le célébrant, il croit se rapprocher de lui, il ravive sa propre flamme, il s’imagine le voir : ou plutôt en le chantant, en le célébrant, il communique à bien d’autres son ardeur. Car si les amants disent les louanges de leur bien-aimée, et vont colportant son nom, le Prophète à leur exemple, s’écrie : « Je chanterai votre nom, Très-Haut. »
3. Voyez comment il s’élève au-dessus de la terre, comment il suspend, pour ainsi dire, tout son être à l’Être éternel, et se consacre à Dieu. Voilà pourquoi il fait revenir si souvent ce même nom : c’est la coutume des amants.(4) « Lorsque mon ennemi se sera retourné en arrière, ils affaibliront et périront devant votre face. » Suivant un autre : « Quand mes ennemis se seront retournés en arrière, auront échoué et péri devant votre face. » Ceci encore est une grande marque d’amour, que d’énumérer sans cesse les bienfaits qu’on a reçus et de s’y complaire : C’est l’affection qui produit cela, et l’affection même en est redoublée. On ne se tromperait pas en disant qu’il s’agit ici d’ennemis invisibles. Ceux-là, en effet, entrent eux-mêmes en déroute, quand ils ont trouvé une âme courageuse. Un javelot qui tombe sur un bouclier, le brise, s’il est faible, reste impuissant et s’émousse si la surface est dure et résistante. Il en est ainsi de l’âme. Si les traits du diable la trouvent faible et incapable de résistance, ils pénètrent jusqu’au fond. Si au contraire elle est dure et solide, l’assaillant se retire sans avoir rien fait, sans que l’âme ait éprouvé aucun dommage : De là deux, ou plutôt trois avantages : l’âme n’a point pâti, elle s’est même fortifiée : enfin le diable s’est affaibli. Considérez maintenant comment le Psalmiste proclame la puissance