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ceci : « Dans tout mon cœur ? » Cela signifie avec tout mon zèle, toute mon ardeur : non seulement pour mes prospérités, ruais encore pour mes revers. En effet, ce qui distingue entre toutes choses une âme reconnaissante et sage, c’est de rendre grâces jusque dans l’adversité, c’est de louer Dieu eu toute occasion, non seulement pour ses bienfaits, mais encore pour ses châtiments. C’est le moyen d’obtenir une plus ample récompense. Remercier Dieu des biens qu’il nous octroie, c’est acquitter une dette : le remercier quand il nous frappe, c’est devenir ses créanciers. – L’obligé qui témoigne sa reconnaissance, se décharge d’une obligation. L’affligé qui rend hommage crée une obligation à son profit. Aussi Dieu reconnaît-il par mille grâces une pareille reconnaissance, et dans l’autre monde et même sur-le-champ : de telle sorte que nous perdons jusqu’au sentiment de nos épreuves. Personne ne ressent des maux dont il remercie Dieu : nous retirons donc de là un second avantage, celui d’échapper au chagrin. Si vous perdez de l’argent et que vous rendiez grâces, le regret du dommage éprouvé est effacé par la joie qui accompagne le remerciement. C’est là pour le diable un coup mortel ; c’est le moyen de parvenir à la sagesse, le moyen de porter un jugement sain sur les choses présentes. Un bon nombre d’hommes jugent mal des choses d’ici-bas, aussi tombent-ils dans le découragement. – C’est ainsi que les fous s’effrayent de ce qui n’a rien d’effrayant, redoutent des choses qui souvent n’existent point et prennent la fuite devant des ombres. C’est leur ressembler que de craindre une perte d’argent.
Cette crainte, en effet, n’est pas imputable à la nature, mais à la volonté. S’il y avait là un vrai sujet d’affliction, tous ceux qui font des pertes devraient être malheureux : mais si la même mésaventure ne produit pas chez nous tous la même affliction, il s’ensuit que le principe de l’affliction n’est point dans la nature des choses, mais dans la grossièreté de nos pensées. De même que dans l’obscurité on s’effraye souvent à la vue d’une corde, croyant apercevoir un serpent, de même qu’alors on voit tout avec défiance, on prend ses amis pour des ennemis : de même ceux qui vivent dans les ténèbres de la déraison ne reconnaissent plus la vraie nature des choses, ils se roulent dans l’ordure, et le fumier cesse de leur paraître du fumier ; possédés par l’avarice, ils sont insensibles à la mauvaise odeur qu’elle exhale : qu’ils s’éloignent, ils la sentiront. – Les amants de la richesse sont comme ceux qui aiment une femme laide et commenceront à s’apercevoir de sa difformité, quand ils seront guéris de leur maladie. Et comment faire, dira-t-on, pour chasser loin de moi cette passion ? Je recourrai encore au même exemple. L’homme épris d’une femme laide, s’il ne cesse de la fréquenter, attise sa propre ardeur : mais pour peu qu’il la délaisse, il sent son amour s’évanouir peu à peu : de même, éloignez-vous quelque peu, faites trêve un moment, et ce moment mettra un grand intervalle entre vous et votre maladie. Il ne s’agit que d’entrer dans la bonne voie. Vous avez une maison qui vous est superflue : vendez-la, donnez-en le prix à ceux qui ont besoin, et ne croyez point par là vous en défaire ; loin de là, vous ne faites que vous en assurer la propriété. Ne regardez pas â la dépense, mais au profit ; ne songez point que vous en serez privés ici-bas, mais bien que vous en jouirez là-haut. De la sorte, il vous sera donné de raconter à jamais les merveilles de Dieu. Car c’est ainsi que débute notre psaume. L’avare n’a guère de temps à consacrer à cette occupation : il ne rêve qu’intérêts, actes, contrats, ventes, testaments, estimations de maisons ou de terres, profits, trafics : voilà ses pensées, ses soucis perpétuels. Où est le trésor de l’homme, là est son cœur. – Voilà les sujets de ses discours, de ses pensées : il pense aux affaires du Seigneur comme un esclave à celles de son maître. Quel ordre a-t-il donné ? Qu’est-ce qui est fait ? Qu’est-ce qui reste à faire ? Je vous exhorte donc à vous dérober aux soins qui vous assiègent pour vous appliquer à ces récits dont parle le prophète, pour raconter chaque jour les merveilles opérées par Dieu soit en particulier, soit en général, dans l’intérêt de tous ou dans celui de chacun. Le monde est plein de pareils sujets de récits, et quel que soit celui que vous choisiriez pour commencer, la pompe ne manquera pas à votre début : le ciel, la terre, l’air, les animaux, les graines, les plantes ; les anciens bienfaits, ceux qui ont précédé la loi, ceux qui l’ont suivie, ceux qui datent de la grâce, ceux qui nous sont réservés après notre départ d’ici-bas et jusque dans la mort, voilà de quoi vous occuper. – Combien nous serions insensés, si, en présence de pareils sujets, aussi charmants que profitables à l’âme,