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soumettrait que difficilement. C’est ainsi qu’aujourd’hui les menaces, les châtiments et les supplices de l’enfer ne convertissent pas toujours les pécheurs. Mais que seraient-ils donc si Dieu laissait leurs crimes impunis ? Aussi nous a-t-il ôté l’empire sur les animaux ; et cette privation est de sa part un grand acte de miséricorde et de bonté.
5. Voulez-vous, mon cher frère, mieux apprécier encore l’ineffable bonté du Seigneur ? Considérez d’un côté comment Adam a violé le précepte divin, et transgressé toute la loi, et de l’autre comment Dieu a daigné surpasser notre malice par l’excès de ses miséricordes. Car il n’a point dépouillé l’homme de tous ses honneurs, et il ne lui a point retiré toute autorité sur les animaux. Mais il n’a soustrait à sa domination que ceux qui lui sont le moins utiles. Quant aux espèces qui peuvent le plus nous soulager, et qui nous sont réellement utiles et nécessaires, elles nous sont restées soumises et obéissantes. Ainsi le Seigneur nous a laissé le bœuf pour traîner la charrue, et pour nous aider dans le labourage et la culture des champs. Il nous a laissé les genres nombreux des bêtes, de somme, qui tirent les chariots, et nous soulagent dans nos travaux. Il nous a laissé les diverses espèces de bêtes à laine qui nous fournissent nos vêtements, et une multitude d’autres animaux qui nous rendent de grands services.
C’est en punition de sa désobéissance que Dieu a dit à l’homme : Tu mangeras ton pain à la sueur de ton front. Mais pour que cette sueur ne nous fût pas trop amère, ni ce travail trop pénible, il a daigné en adoucir la fatigue par le secours de ces nombreuses bêtes.de charge qui partagent nos peines et nos labeurs. Le père de famille bon et prudent châtie un serviteur coupable, mais il ne laisse point que d’en prendre soin. Ainsi le Seigneur, qui a porté contre l’homme pécheur une sentence de condamnation, a voulu lui adoucir les rigueurs du châtiment. C’est pourquoi il lui a donné l’aide des animaux domestiques pour ménager ses sueurs, et alléger ses fatigues. Nous ne saurions donc méditer sérieusement la conduite du Seigneur à notre égard, soit qu’il accorde à l’homme un empire absolu sur les animaux, soit qu’il l’en dépouille, et le rende craintif devant eux, sans y reconnaître une providence pleine de sagesse, de clémence et de bonté.
Ne négligeons donc point de lui rendre grâces pour tant de bienfaits. Il n’exige en cela rien de bien pénible, ni de bien difficile, et il demande seulement que nous avouions sincèrement ses libéralités, et que nous lui en soyons reconnaissants. Ce n’est point qu’il en ait besoin, puisqu’il se suffit à lui-même. Mais il veut que nous nous conciliions ainsi la bienveillance de l’Auteur de tout bien, que nous ne soyons point ingrats envers lui, et que nos vertus répondent à ses bienfaits et à sa providence. Ce sera aussi le moyen d’attirer sur nous de nouvelles grâces. Je vous en conjure donc, remplissez ce devoir avec zèle ; et selon vos forces, renouvelez en vous, à chaque heure du jour, le souvenir de ses bienfaits, tant généraux que particuliers. Oui, rappelez-vous non seulement ceux que tous avouent, et qui éclatent aux regards de tous, mais encore ces grâces secrètes qui ne sont connues que de vous seul. Vous contracterez ainsi l’heureuse habitude d’une continuelle reconnaissance. Or ces sentiments sont le grand sacrifice et l’oblation parfaite que Dieu exige, non moins que le principe et le témoignage de notre confiance en lui. Comment ? je vais le dire. C’est que ce fréquent souvenir des bienfaits de Dieu développe en nous la conscience de notre faiblesse, produit la connaissance de son éminente bonté, et nous montre comment, dans les soins de sa providence envers nous, il oublie ce que mériteraient nôs péchés, et ne suit que les attraits de sa miséricorde. Or à cette vue l’homme, s’humilie, et il est contrit dans son cœur. Il réprime au dedans de lui le faste et l’arrogance, et il agit modestement en toutes choses. Il méprise donc la gloire du monde, et il se rit de son éclat futile et éphémère ; parce que sa pensée s’attache aux biens futurs, et à cette vie immortelle qui ne finira jamais. Mais de tels sentiments ne sont-ils pas ce vrai sacrifice dont parle le Prophète, et que Dieu agrée toujours. Le sacrifice, dit-il, que Dieu demande, est une âme brisée de douleur ; et il ne dédaigne jamais un cœur contrit et humilié. (Ps. 1,49) Ne voyons-nous pas en effet que les châtiments retiennent bien moins dans le devoir les serviteurs qui ont un bon cœur, que le souvenir des bienfaits et celui de l’indulgence avec laquelle on punit leurs fautes ?
6. Brisons donc nos cœurs, je vous en supplie, et humilions nos âmes, aujourd’hui surtout