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autres vertus. C’est ce que Jésus-Christ nous recommande, quand il dit : Soyez semblables à votre Père qui est dans les cieux. (Mt. 5,45) Et en effet, de même que sur l’immense étendue de la terre il existe des animaux doux et privés, et des animaux sauvages et féroces ; il y a aussi sur le vaste domaine de l’âme des pensées irraisonnables et brutales, des pensées féroces et farouches. Ce sont ces pensées qu’il nous faut dompter et assujettir à l’empire de la raison.
Mais comment maîtriser des pensées féroces ? Que dites-vous, ô homme ? nous savons apprivoiser les lions et les rendre doux et familiers ; et vous douteriez s’il vous est possible de changer en douceur la férocité de vos sentiments ? Observez encore que ces animaux sont féroces par nature, et qu’ils ne s’adoucissent que par une violence faite à leur instinct, tandis que l’homme est naturellement doux, et qu’il ne devient féroce que contrairement à sa nature. Eh quoi ! l’homme transforme dans un animal la férocité de l’instinct en des qualités tout opposées, et il ne pourrait conserver en lui-même celles qu’il tient de la nature ! Mais combien ne serait-il pas coupable ! Et ici ce qui est plus étonnant encore et plus merveilleux, c’est que les lions sont dépourvus de raison, et par conséquent moins faciles à instruire. Néanmoins on en voit plusieurs qui se laissent mener sur nos places publiques comme des animaux apprivoisés ; nous jetons même des pièces de monnaies à ceux qui les conduisent, comme pour les payer de leur art et de leur industrie. Et vous, ô homme, vous avez une âme douée de raison, la crainte de Dieu, et mille secours, en sorte que vous ne sauriez opposer ni prétextes, ni excuses ; oui, si vous le voulez, vous pouvez devenir doux, juste et affable, car Dieu a dit : Faisons l’homme à notre image et à notre ressemblance.
4. Revenons maintenant à l’objection proposée. Les paroles de la Genèse prouvent que dans le principe l’homme avait sur les animaux un empire absolu. Et en effet, Dieu a dit : Qu’il domine sur les poissons de la mer, les oiseaux du ciel, les animaux et les reptiles de la terre. Mais puisqu’aujourd’hui les animaux féroces nous épouvantent, et que nous les craignons, nous sommes donc déchus de cet empire ; je l’avoue. Et néanmoins cette déchéance ne prouve rien contre les promesses divines. Car il n’en était pas ainsi au commencement. C’étaient les animaux qui craignaient l’homme, qui le redoutaient, et qui respectaient son autorité. Mais quand, par sa désobéissance, il perdit la grâce et l’amitié de son Dieu, il vit son empire sur les animaux s’affaiblir et décroître. L’Écriture nous les montre soumis à l’homme au commencement, car elle nous dit que Dieu fit venir devant Adam tous les animaux de la terre, et tous les oiseaux dit ciel, afin qu’Adam vît comment il les nommerait. Or, Adam ne s’enfuit point à leur vue, ni à leur approche ; et il donna à chacun un nom propre et particulier, ainsi qu’un maître nomme ses esclaves. Et le nom, ajoute l’Écriture, qu’Adam, donna à chaque animal, est son propre nom. (Gen. 2,19) Mais n’est-ce pas là un grand acte d’autorité ? et Dieu le lui réserve comme témoignage de sa puissance et de sa dignité.
Cette preuve, seule suffirait pour montrer qu’au commencement l’homme ne s’effrayait point des animaux. Mais je puis en apporter une seconde plus convaincante encore. Et laquelle ? L’entretien de la femme avec le serpent. Et en effet si l’homme eût tremblé devant les animaux, nous ne verrions point Eve attendre l’approche du serpent, recevoir ses conseils, et entrer en conversation avec lui. Mais à son aspect, elle eût pris la fuite craintive et épouvantée. Cependant elle lui parle sans effroi ; donc elle ne le redoutait pas alors. Mais le poché, qui dépouille l’homme de sa dignité, lui ravit également son empire sur les animaux. Dans une maison les mauvais serviteurs craignent ceux que leur fidélité fait plus estimer de leurs maîtres. C’est ce qui est arrivé par rapport à l’homme. Tant qu’il demeura fidèle au Seigneur, il se faisait craindre de tous les animaux : et dès qu’il devint pécheur, il trembla lui-même devant les derniers de ses esclaves.
Peut-être n’approuvez-vous pas mon raisonnement : eh bien ! montrez-moi qu’avant le péché l’homme ait craint les animaux. Mais vous ne le pourrez. Sa frayeur actuelle est une suite de son péché, et nous y voyons même reluire un admirable effet de la bonté divine. Car si l’homme, après sa désobéissance, eût été maintenu dans toute l’intégrité de ses privilèges, il se serait peu soucié de se relever de sa chute. Si le prince honorait également ses sujets rebelles et ses sujets fidèles, les premiers persisteraient dans leur révolte, et on ne les