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pour lui, non pour moi. De même qu’à la guerre, quand le roi a remporté la victoire, on forme des chœurs à sa louange, on lui reporte toute la gloire du succès : voilà quelle sera ma conduite, veut-il dire. Aussi ne dit-il pas : je rends hommage, mais « je rendrai hommage », voulant montrer que le succès même ne le rend ni oublieux, ni négligent, mais qu’il reste vigilant et sage ; ce n’est pas que Dieu ait besoin de tels hommages, mais ils sont utiles et profitables à nous-mêmes. S’il recevait des sacrifices, bien qu’il n’en eût aucun besoin (si j’ai faim, est-il écrit, je ne vous le dirai pas. Ps. 49,12), afin d’engager les hommes à l’honorer, c’est de la même façon qu’il accueille les hymnes, non qu’il ait besoin de nos bénédictions, mais parce qu’il désire notre salut. Car Dieu ne tient à nulle chose plus qu’à nos progrès dans la vertu.
Mais il n’est rien de plus propre à nous avancer dans cette voie, qu’un commerce assidu avec Dieu, que des actions de grâces, des hommages journaliers. Le Psalmiste loue Dieu, dans l’admiration que lui cause la justice et la longanimité divines. Et où voyez-vous, dira-t-on, cette longanimité, quand l’usurpateur a péri ? Elle est grande et merveilleuse. Dieu a longtemps ménagé Absalon afin qu’il se repentît ; il a permis qu’il fût maître du palais royal, afin qu’à la vue de cette maison où il avait grandi, où il avait été élevé, il éprouvât des remords. S’il n’avait pas été une brute, si son cœur n’eût été de pierre, tout cela était bien propre à le ramener ; cette table où il s’asseyait à côté de son père, cette maison, ces lieux de réunion, où la parole avait obtenu sa rentrée en grâce après le meurtre affreux qu’il avait commis ; bien d’autres choses encore auraient dû l’émouvoir. Il savait que son père errait comme un vagabond et un fugitif, en proie à d’extrêmes souffrances. Que si c’était trop peu pour le toucher, l’exemple, la triste fin d’Achitophel auraient dû éclairer son aveuglement ; tout lui conseillait le repentir, car il n’ignorait pas le sort de son ami. Et qu’avait-il d’ailleurs à reprocher à son père ? De l’avoir banni de sa vue ? il aurait dû plutôt l’admirer, lui savoir gré d’avoir traité si doucement un fratricide. Il n’avait aucun reproche à lui faire ; c’est lui-même qui, saisi d’une convoitise prématurée, alors que son père était vieux, que l’espérance lui souriait de près, n’avait pu se résigner à une attente aussi courte. Mais comment n’avait-il pas réfléchi que, même victorieux, il serait le plus malheureux des hommes, souillé d’un pareil crime et déshonoré par son propre trophée ?
16. Où sont maintenant ceux qui gémissent de leur pauvreté ? quelle pauvreté n’est pas plus douce que de tels maux ? quelle maladie ? quelle souffrance ? David ne se dit rien de pareil à lui-même ; il ne se décourage point, il ne se lamente point. Me voilà bien récompensé, aurait-il pu dire, moi qui jour et nuit m’occupe d’observer la loi de Dieu, moi qui, en dépit de mon rang, suis tombé au niveau du dernier des hommes : moi qui, miséricordieux envers mes ennemis, me suis vu livrer aux mains d’un enfant rebelle. Il ne dit, ne pensa rien de semblable : il supporta tout avec résignation, consolé dans ses épreuves par cette seule pensée que Dieu n’ignorait rien de ce qui se passait. Les trois enfants disaient : « Sinon, sache bien, roi, que nous ne servons pas tes dieux, et que nous n’adorons pas la statue d’or que tu as érigée. » Et si quelqu’un leur avait demandé : Et dans quelle espérance affrontez-vous le trépas ? qu’attendez-vous, qu’espérez-vous après la mort, après le bûcher ? (en effet, l’attente de la résurrection n’existait pas encore) ils lui auraient répondu : Voilà la rémunération suprême : c’est de mourir pour Dieu. De même David ne jugeait aucune consolation supérieure à cette pensée, que Dieu sachant ces choses ne les empêchait pas. Un amant braverait mille morts pour sa bien-aimée et pourtant, qu’espérer d’elle après la mort ? Ainsi nous devons, sans penser au royaume des cieux, ni à aucun des biens qui nous sont promis, tout souffrir pour le seul amour de Dieu. Il y a pourtant des hommes si tièdes, si insensibles, que l’appât même des récompenses ne peut les gagner à la vertu. Dieu promet le royaume, et n’est pas écouté ; le diable ouvre l’enfer, et il se fait aimer. Quelle horrible démence ? Et pourquoi parler de l’enfer ? Dès ce monde, et avant l’enfer, il procure souffrance, honte, risée, mille tortures, et il attire à lui une foule empressée. Considérez l’adultère ; voyez s’il est un homme plus malheureux que lui : il n’est pas encore dans l’enfer : mais déjà il est en proie à des soupçons continuels, les ombres l’épouvantent ; il n’ose regarder personne en face ; il craint tout le monde, ceux qui savent son crime, comme ceux qui l’ignorent ; il ne voit partout