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son maître, lui demanderait des comptes et l’interrogerait sur les motifs de sa conduite. Gardez-vous de vous livrer à une pareille recherche, quand vous devriez pleurer, gémir, et expier vos propres torts.
Si je parle ainsi, ce n’est pas que je manque de raisons à produire : mais je voudrais vous arracher à cette vaine curiosité et vous voir appliqués uniquement au souci de votre salut. Maintenant, pourquoi Dieu a-t-il statué ainsi ? C’est par ménagement pour l’humanité. Il a resserré la souffrance dans les étroites limites de la vie terrestre ; les couronnes, il les a réservées pour la vie future, qui doit être hors des atteintes de la mort et de la vieillesse. – Rien de plus fugitif, de plus éphémère, que les peines présentes : ce sont les récompenses qui sont immortelles et durent éternellement. D’ailleurs, c’est pour l’âme un exercice qui lui fait aimer la vertu. En effet, quand elle s’y attache, quoi qu’il lui en coûte, et sans rémunération actuelle, elle se dispose à l’aimer d’un parfait amour ; quand elle trouve du plaisir à fuir le vice, sans qu’il l’expose encore à aucun châtiment, elle s’exerce à le haïr, à le prendre en aversion. – On le voit : par là même, elle contractera l’habitude de haïr le vice, de chérir la vertu. Voici maintenant une autre raison : c’est que rien ne nous prépare mieux aux luttes de la sagesse, ne nous rend plus forts que la tribulation. En voici une troisième c’est que Dieu veut nous apprendre à dédaigner les choses présentes, à ne pas nous y attacher, à ne pas nous en laisser enchaîner. Voilà pourquoi il a assigné cette terre pour séjour à la tribulation et à la peine, tandis qu’il a rendu passagères toutes nos félicités et toutes nos joies. – « Que la malice des pécheurs soit consommée, et tu dirigeras le juste. » Qu’est-ce à dire : « soit consommée ? » Fais descendre le châtiment, et tu les arrêteras dans leur perversité. En effet, de même que la gangrène ne cède qu’à de cruels remèdes, au fer et au feu, de même pour réprimer le vice le châtiment est nécessaire.
9. Instruits de ces vérités, ne plaignons plus ceux qui sont châtiés et livrés au supplice, mais bien ceux qui pèchent impunément. Car si c’est un mal de pécher, c’en est un autre d’être privé de correction, ou plutôt ce dernier est le premier des deux, car c’est le plus terrible. En effet, c’est moins la maladie qui est redoutable que le manque de soin, quand on est malade ; nous ne pleurons pas sur le sort d’un homme affecté d’une plaie : mais si cet homme est abandonné, si aucun médecin n’approche de son lit, c’est alors que nous le plaignons. Au contraire, celui qu’on traite par lé fer et le feu, nous le jugeons en voie de guérison, parce que nous ne considérons pas la douleur attachée à l’amputation, mais la santé que l’amputation doit procurer. En ce qui concerne l’âme, notre sentiment doit être le même : ce ne sont pas ceux qui sont punis (car leur châtiment les conduit à la santé), ce sont les pécheurs impunis que nous devons plaindre, sur qui nous devons gémir. Mais, dira-t-on, si les châtiments sont destinés à prévenir les péchés, comment se fait-il que nous ne soyons pas punis chaque jour de nos fautes ? C’est que, s’il en était ainsi, la race humaine aurait péri prématurément, et le temps du repentir lui aurait été dérobé. Voyez Paul. S’il avait expié sa persécution, s’il avait été frappé, comment aurait-il eu le temps de se repentir, de faire les bonnes œuvres innombrables qui suivirent sa pénitence, de ramener l’univers entier, pour ainsi dire, de l’erreur à la vérité ? Ne voyez-vous pas que les médecins qui ont affaire à un malade criblé de blessures ne lui administrent pas un traitement proportionné à la gravité de ces plaies, mais celui-là seulement que ses forces peuvent supporter ? autrement, en guérissant les plaies, ils tueraient le malade.
Voilà pourquoi Dieu ne châtie pas à la fois tous les coupables, ni tous les coupables autant qu’ils le méritent, mais use en cela de douceur et ménagement : souvent la punition d’un seul lui suffit pour corriger beaucoup de pécheurs. Cela se voit souvent aussi pour le corps : un seul membre coupé remet les autres en santé. Mais admirez la charité de notre juste : voyez comme partout il se préoccupe de l’intérêt commun, de l’extirpation du péché, et s’inquiète non de tirer vengeance de ses ennemis, mais de guérir leur perversité. Ainsi attachons-nous constamment à réprimer les progrès du vice, pleurons sur ceux qui vivent dans l’iniquité, fussent-ils revêtus de vêtements de pourpre ; et célébrons le bonheur des gens de bien, fussent-ils livrés aux angoisses de l’extrême indigence ; pour cela il nous suffit de détourner nos regards du dehors pour les diriger vers le dedans. C’est alors que nous verrons la richesse de l’un, la pauvreté