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En effet le vice, quand même il aurait pour lui toute la terre, est ce qu’il y a de plus faible au monde ; la vertu, au contraire, même dénuée de tout appui, est ce qu’il y a de plus puissant : car elle a Dieu pour défenseur. Qui pourrait donc sauver celui qui a Dieu pour ennemi ? Et qui pourrait perdre celui qui l’a pour auxiliaire ? Pénétré de ces vérités, Chus s’en alla plein de confiance où David l’envoyait. Dès qu’il fut arrivé, voyant l’usurpateur approcher, il l’aborda. Absalon qui l’avait vu plus d’une fois, et qu’enivrait l’amour de la puissance, ne s’arrête point à l’examiner minutieusement ; il le raille, il l’injurie : Va-t’en, lui dit-il, avec ton ami : il ne daigne pas même le nommer, dans l’excès de sa haine et de son animosité. Chus alors sans se troubler, sans se déconcerter, lui répond : Quand Dieu était avec lui, je lui étais attaché : maintenant que Dieu est avec toi, il en résulte que je dois te servir. Ce discours flatta et enorgueillit le tyran ; et sans autre enquête (l’homme léger est crédule, ce fut le cas d’Absalon) il se livre à ses ennemis, en admettant sur-le-champ Chus au nombre de ses fidèles, en l’inscrivant au premier rang de ses amis. Mais Dieu conduisait tout : il était là, il dirigeait les événements. Après cela, on tint conseil au sujet de la guerre, divers avis furent ouverts sur la question de savoir s’il fallait attaquer incontinent, ou différer un peu. Achitophel, cet habile conseiller, s’avance, prend la parole et fait la proposition suivante. Il faut attaquer ton père maintenant qu’il est abattu et découragé. C’est en ne lui laissant pas le temps de respirer que nous pourrons nous en rendre maîtres : il ne s’attend à rien ; si nous l’attaquons maintenant, nous n’aurons aucune peine à vaincre. Après avoir entendu cet avis, l’usurpateur appelle Chus, le faux transfuge et l’invite à parler à son tour : il n’était pas dans l’ordre des choses humaines qu’il accordât un pareil honneur, une pareille confiance à un homme qui venait à peine d’arriver, qu’il le consultât sur une affaire de cette importance ; mais, ainsi que je l’ai dit plus haut, quand c’est Dieu qui commande, les choses les plus difficiles deviennent aisées. Chus est introduit : Absalon lui donne le droit de parler, et l’invite à faire connaître sa pensée. Que fait Chus alors ? Jamais, dit-il, Achitophel ne s’est trompé. Voyez-vous son adresse ? Il ne donne pas brusquement son avis, il y joint un éloge. Il commence par rendre hommage à la prudence ordinaire des conseils d’Achitophel, puis il accuse l’opinion que ce même conseiller vient d’énoncer en dernier lieu.
Voici comment il s’exprime : Je ne sais comment il s’est trompé cette fois ; son idée ne me paraît pas bonne à suivre. Si nous attaquons à présent, ton père poussé à bout comme un ours dont on excite la fureur, et désespérant désormais de sa vie ; combattra avec tout l’acharnement de la rage, ne songera point à ménager ses jours et fondra sur nous avec toute l’impétuosité dont il est capable. Au contraire, si nous prenons quelque répit, nous serons mieux préparés pour l’attaque, plus sûrs du succès, et nous n’éprouverons aucune peine, aucune difficulté à le prendre, pour ainsi dire, au piège, et à le ramener prisonnier. Absalon approuva cette opinion et la proclama préférable à l’autre. Mais si Chus avait parlé de la sorte, c’était pour donner à David le temps de se reposer un instant, de respirer, de rassembler des troupes. Aussi, lorsqu’il eut fait rejeter le conseil d’Achitophel, il envoya secrètement des émissaires rendre compte de tout à David, et lui apprendre que l’usurpateur s’était rangé à l’opinion de Chus qui assurait la victoire du roi. Telle fut, en effet, l’issue. Après avoir pris quelque repos, David fit ses préparatifs, livra bataille et remporta la victoire. Achitophel qui, dans sa prudence et son habileté, prévoyait ce résultat dès le jour même de la délibération et savait que cette résolution était la perte d’Absalon, incapable de supporter l’affront qu’il avait essuyé, alla se pendre et mit ainsi fin à ses jours.
3. C’est alors que David, instruit de tous ces événements, écrivit ce psaume, comme un hymne d’actions de grâces, par lequel il reportait à Dieu tout l’honneur d’avoir conduit ces événements. Aussi, dès le début, s’exprime-t-il à peu près ainsi : « Seigneur mon Dieu, c’est en vous que j’ai mis mon espérance, sauvez-moi. » En Dieu, non pas en Chus, non pas dans la sagesse humaine, non pas dans la prudence de cet ami, non pas dans sa propre intelligence, mais en vous, Seigneur. Suivons cet exemple, et s’il nous arrive quelque succès par le ministère des hommes, sachons en remercier Dieu, soit qu’il ait choisi d’autres ou nous-mêmes pour instruments de sa grâce. Si nous agissions de la sorte, il n’y aurait plus pour nous ni difficulté ni peine. C’est ce que