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et de confusion. En effet, c’était tout bouleversera la fois, prescriptions de la nature, respect de l’opinion, piété envers Dieu, charité, compassion, reconnaissance filiale, respect de la vieillesse. S’il ne voulait pas respecter en David son père, au moins devait-il l’honorer comme un vieillard. Si des cheveux blancs ne lui inspiraient pas de vénération, au moins aurait-il dû en montrer pour son bienfaiteur ; et, à tout le moins, ménager un homme qui ne lui avait fait aucun mal. Mais la passion du pouvoir bannit de son cœur tout sentiment de retenue, et en fit une véritable bête féroce. Et voici que notre bienheureux, celui qui avait engendré, nourri ce fils ingrat, errait dans le désert comme un misérable vagabond, accablé de tous les maux qui pèsent sur un exilé, tandis que son fils jouissait en paix des biens paternels. Les choses en étaient à ce point, les armées obéissaient au rebelle, les villes reconnaissaient son usurpation ; seul, un homme vertueux, un ami de David, nommé Chus, restait fidèle à son amitié dans ce changement de fortune ; en le voyant errer sans fin dans le désert, il déchira sa tunique, se couvrit de cendres, poussa un amer et pitoyable gémissement ; et, dans son impuissance, il consola du moins l’infortuné avec des larmes. Ce n’était point la fortune ni la puissance, mais bien la vertu qu’il aimait chez David : voilà pourquoi son amitié survécut même à la déchéance du roi. David, en le voyant agir de la sorte, lui dit : C’est déjà faire preuve d’attachement et d’une sincère affection pour nous ; mais cela ne peut nous servir de rien : il faut tenir conseil, et aviser aux moyens de nous délivrer des infortunes présentes, de nous soulager dans notre malheur.
Il dit et fait à Chus la proposition suivante Va-t’en auprès de mon fils, et, sous le masque d’un allié, confonds ses projets, préviens l’accomplissement du dessein d’Achitophel. Cet Achitophel régnait alors sur l’esprit de l’usurpateur ; c’était un bon guerrier, un général habile à conduire une guerre, à décider les succès d’un combat : aussi inspirait-il plus de crainte à David que l’usurpateur lui-même, à cause de son intelligence et de son habileté. Chus, entendant cela, obéit, sans lâche hésitation, sans pensée pusillanime ; il ne dit point Et si je suis pris ? Et si je suis démasqué ? Et si l’on découvre le secret de la comédie ? C’est un habile homme qu’Achilophel : il pourra bien deviner cette ruse, me prendre sur le fait : et alors je périrai : voilà tout ce que nous y aurons gagné. Rien de pareil : il court au camp de l’usurpateur, après s’être reposé sur Dieu de toute chose, et s’élance au milieu des dangers.
Si j’ai insisté là-dessus, ce n’est pas seulement pour attirer des éloges à Chus, c’est encore pour vous faire comprendre toutes les épreuves que David eut à subir, c’est enfin pour mettre dans un plus grand jour tous les fruits que l’on peut retirer de cette histoire. Voyez en effet : le vulgaire ne cesse de demander pourquoi les justes sont persécutés tandis que les méchants demeurent en repos. C’est la même chose ici. Le juste était dans l’infortune ; le pervers, le parricide, le rebelle en guerre avec la nature elle-même, vivait dans la prospérité, au sein d’un palais : mais il ne lui revint de cela aucun profit, comme à notre saint aucun dommage. L’un n’y gagna que de pires tribulations ; l’autre en retira une gloire plus éclatante ; comme on voit reluire, au sortir de la fournaise, l’or que l’épreuve a purifié.
2. Tirez donc de là cette première leçon, de ne point vous laisser étonner par les infortunes que vous voyez fondre sur les justes. Apprenez en second lieu, à ne pas changer avec la fortune, à respecter les lois de l’amitié ; en troisième lieu, à braver les dangers pour la vertu ; enfin, à ne pas désespérer dans les circonstances difficiles, à compter sur le secours de la divinité. – C’est ainsi que ce Chus dont je parle, ne réfléchit alors ni à l’armée de l’usurpateur, ni aux alarmes qu’il inspirait, ni à la multitude de ses cavaliers, ni aux innombrables phalanges de ses hoplites, ni aux villes dont il s’était déjà rendu maître, ni à l’abandon auquel était réduit David, à son isolement, à sa faiblesse : il ne vit qu’une chose, l’irrésistible secours de Dieu, sa protection : et comparant, à ce point de vue, les deux partis, il jugea l’un faible, et l’autre fort. En effet, Absalon agissait avec injustice, David au contraire, en se défendant, avait le bon droit pour lui. Il se rangea donc, non du côté du nombre, mais du côté on combattait la vertu ; et ainsi il attira sui lui la bénédiction divine. Je dis cela, afin que nous-mêmes, nous ne négligions pas ceux qui ont la justice, pour eux ; en voyant leur faiblesse ; afin que d’autre part nous fuyions l’alliance des méchants, quel que puisse être leur pouvoir.