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moi. » Il demande que ses précédentes blessures soient cicatrisées. En disant « Mes os », il désigne sa force en général ; le trouble, c’est la peine, le châtiment, les coups portés : Guérissez-moi, Seigneur, parce que « mes os ont été troublés, et que mon âme a été dans un grand trouble. » On distingue ces trois choses quand il s’agit de guérir le corps, ou plutôt on en distingue quatre ou cinq ; le médecin, son art ; le malade, la maladie ; la vertu des remèdes ; de l’opposition de ces choses, résulte une espèce de combat ; si le médecin, la médecine, les remèdes ont pour auxiliaire la volonté du malade, ils triomphent de la maladie. Si, au contraire, le malade refuse de les assister, il se livre lui-même à la maladie ; quelquefois même il prend parti pour elle contre le médecin, les remèdes et la médecine, et alors il se tue. C’est la même chose dans le cas présent, ou plutôt, c’est quelque chose de bien plus extraordinaire. Souvent, dans les maladies que traitent les médecins, le malade se range du côté de la médecine et des remèdes, sans y rien gagner, parce que sa constitution est affaiblie, parce que l’art est devenu impuissant, parce que les remèdes ont perdu leur vertu sous l’influence de quelque conjoncture funeste. Il n’en est pas ainsi quand c’est Dieu qui est le médecin ; pour peu que vous soyez avec lui, votre plaie est infailliblement guérie. Car ce n’est pas ici un art humain sujet à l’incertitude, mais une divine efficace, plus forte que les tempéraments, les maladies, les infirmités morales et toutes les imperfections. C’est pourquoi David s’adresse à Dieu comme à un médecin, et lui dit en gémissant : « Guérissez-moi, Seigneur, parce que mes os ont été troublés. » Quelques-uns prétendent qu’il a ici en vue le trouble produit par le péché. En effet, comme on voit des vents furieux, une fois déchaînés sur la mer, la bouleverser, porter à la surface le sable qui était au fond, et mettre en danger les navigateurs ; ainsi notre âme se trouble quelquefois, notre corps est agité, la tempête ébranle tout notre être, le tumulte règne sur notre navire, les ténèbres l’enveloppent, tout quitte sa place, la confusion se met partout. C’est ce qui arrive surtout dans les passions dissolues ; la même chose se passe encore dans la colère et dans les infortunes. Tout cela trouble notre âme et nos os, nos prunelles sortent de leur orbite, nos yeux même s’égarent ; ainsi que les chevaux courent en désordre quand le cocher a perdu son sang-froid, ainsi quand la raison est aveuglée, tout se confond, tout s’égare, tout sort de sa propre vie. Mais, comment naît ce trouble ? c’est ce qu’il est nécessaire maintenant d’expliquer.
Si c’est la fureur des vents qui soulève les flots, il n’en est pas ainsi dans notre âme ; ici, la cause du désordre n’est point un hasard extérieur, mais notre propre nonchalance. C’est à nous qu’il appartient de le prévenir ou de le permettre. Par exemple, une fois la concupiscence éveillée, si vous évitez d’attiser la flamme, d’alimenter le foyer, la fournaise est vite éteinte. Or, vous l’éviterez, si vous détournez vos regards des visages séduisants, si vous ne leur permettez pas de s’attacher curieusement sur les belles formes, si vous fuyez les théâtres d’iniquité. Si vous savez sevrer la chair, préserver votre pensée de l’ivresse, la flamme ne s’élèvera point, la fournaise ne s’échauffera pas, vous ne stimulerez pas en vous la férocité de la brute, vous ne laisserez pas l’orage altérer la pureté de votre âme. Est-ce donc assez, dira-t-on, pour échapper à l’incendie du péché ? Non, cela ne suffit point, il faut y joindre encore autre chose ; des prières continuelles, de vertueuses fréquentations, un jeûne modéré, un régime frugal, des occupations régulières, avant toute chose, la crainte de Dieu, l’idée du jugement futur, des redoutables supplices, des récompenses promises. Par tous ces moyens, vous pouvez refréner la rage de la concupiscence, et calmer en vous la tempête. « Mais vous, Seigneur, jusques à quand ? Tournez-vous vers moi, Seigneur, délivrez mon âme, sauvez-moi par l’effet de votre miséricorde. » (Ps. 6,5) Il répète constamment ce mot « Seigneur », comme pour s’en faire un titre à la grâce et au pardon ; et, en effet, voilà notre plus ferme espérance ; elle réside dans la bonté ineffable de Dieu, dans son penchant naturel à l’indulgence. Quant à cette expression « Jusques à quand », il ne faut pas l’imputer au découragement ni à l’amertume ; elle ne marque que l’excès des souffrances d’un homme accablé sous le faix des épreuves.
4. « Tournez-vous vers moi, Seigneur, délivrez mon âme. » Ici il demande en même temps à Dieu de diriger vers lui ses regards et de défendre son âme. Les justes ne tiennent à rien autant qu’à se réconcilier avec Dieu, à se le rendre bienveillant, propice, à faire qu’il ne