Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 5, 1865.djvu/56

Cette page n’a pas encore été corrigée


6. Vous comprenez maintenant, mon cher frère, quel est ce véritable jeûne que nous devons observer ; car il serait absurde de nous borner, comme la plupart des chrétiens, à différer notre repas jusqu’au soir. Ce que l’Église veut, c’est que nous joignions à l’abstinence de la viande celle du péché, et que nous nous appliquions avec soin aux exercices spirituels. Il faut donc que le chrétien qui jeûne se montre doux et humble, soumis et pacifique. Il faut aussi qu’il méprise la gloire humaine et qu’il la dédaigne autant qu’il a précédemment négligé le salut de son âme. Il doit également fixer ses regards sur Celui qui sonde les reins et les cœurs, répandre devant Dieu de ferventes prières et l’aveu de ses fautes et, selon son pouvoir, s’aider lui-même du secours de l’aumône ; car l’aumône est surtout efficace pour effacer le péché et nous délivrer des peines de l’enfer, quand elle est faite généreusement et sans aucune vue de gloire et de vanité.
Mais pourquoi parler ici de gloire et de vanité, puisqu’à l’exclusion même des récompenses que Dieu nous réserve, la raison seule nous dit de ne considérer dans l’aumône que la beauté de l’action, et le plaisir de soulager nos frères : Si, nous ne pouvons nous élever jusqu’aux motifs sublimes de la religion, faisons du moins l’aumône pour elle-même, et non en vue de l’estime des hommes. Autrement nous perdrions et le fruit de cette bonne œuvre, et la récompense qu’elle mérite. Mais ce que je dis de l’aumône, je l’applique également à toute autre œuvre spirituelle. Car nous ne devons jamais nous y proposer la louange ni l’honneur. Aussi le jeûne, la prière, l’aumône, et toutes les bonnes œuvres en général, ne nous sont-elles d’aucune utilité dès que nous n’agissons pas uniquement pour Celui qui connaît le secret des cœurs, et qui pénètre jusqu’aux plus intimes profondeurs de la pensée.
Mais si vous agissez pour Dieu, comment, mon cher frère, recherchez-vous les louanges d’un homme semblable à vous ? que dis-je, les louanges ? au lieu de vous louer, souvent il vous déchire. Car il se rencontre des esprits si malicieux, qu’ils interprètent en 'mauvaise part toutes nos bonnes œuvres. D’où vient donc, dites-le-moi, que vous estimiez tant des juges si prévenus ? mais l’œil du Seigneur ne se ferme jamais, et aucune de nos actions ne peut échapper à son active vigilance. C’est pourquoi cette pensée doit nous porter à régler notre conduite avec autant de soin que s’il nous fallait à chaque instant rendre compte de nos paroles, de nos actions et de nos sentiments. Ne négligeons donc point l’œuvre de notre salut. Car, mon cher frère, rien n’est plus grand ni meilleur que la vertu. C’est elle qui après la mort nous garantit des supplices de l’enfer, et qui nous introduit dans le royaume des cieux. Mais dès cette vie, elle nous établit au-dessus des mauvais desseins des hommes et des démons, et nous fait triompher de l’ennemi de notre salut.
Eh ! que comparer donc à la vertu qui y met ainsi ses disciples à l’abri des embûches de l’homme, et qui les rend vainqueurs des démons eux-mêmes ! Mais la véritable vertu méprise le monde, songe, à l’éternité, et ne s’enthousiasme pour aucun bien de la terre, car elle sait que toutes ses prospérités sont plus fugitives qu’une ombre et qu’un songe. La véritable vertu est, à l’égard des plaisirs de la vie, aussi insensible qu’un cadavre ; et à l’égard du péché qui souillerait l’âme, elle est morte et inactive, parce que toute sa vie et toute son action se concentrent dans les pensées et les exercices de la foi. C’est ainsi que l’Apôtre disait : Je vis, ou plutôt, ce n’est pas moi qui vis, c’est Jésus qui vit en moi. (Gal. 2,20) A son exemple, mes très-chers frères, agissons nous-mêmes comme revêtus de Jésus-Christ, et gardons-nous de contrister l’Esprit-Saint. Lors donc que nous nous sentirons troublés par la concupiscence, ou par quelque affection déréglée, par la colère, l’emportement, ou par l’envi ;, songeons que Dieu habite en nous, et éloignons toutes ces pensées. Conservons avec un soin respectueux les grâces éminentes que le Seigneur nous a départies, et réprimons les désirs mauvais de la chair. Puissions-nous ainsi, après avoir, pendant cette vie fragile et passagère, légitimement combattu, mériter les brillantes couronnes de l’éternité, et paraître sans crainte à ce jugement qui sera si terrible pour les pécheurs, et si consolant pour les justes ! Oui, puissions-nous obtenir ces biens ineffables, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soient, avec le Père et l’Esprit-Saint, la gloire, l’empire et l’honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.