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terre sous le poids des infirmités qui la surchargent. Avec un cocher pareil, avec un tel pilote, quel espoir de salut reste-t-il ? « Si la lumière qui est en toi est, obscurité », est-il écrit, « qu’est-ce donc que l’obscurité ? » Quand le pilote est en état d’ivresse, quand sa contenance est plus désordonnée que les flots, que les vents, sur quoi compter pour sauver le navire ?
6. Comment donc alléger son âme ? Par une vie exemplaire, indifférente à tous ces biens fragiles, par le soin de ne pas embarrasser sa marche d’entraves lourdes et alourdissantes. Parmi les corps, il en est qui tendent vers la terre, comme les pierres, le bois, et autres choses de ce genre ; d’autres s’élèvent comme le feu, l’air et la plume légère. Si vous attachez à une chose légère quelqu’un de ces autres objets pesants, ni plume, ni air ne conservent leurs propriétés, attendu que la pesanteur faisant plus qu’équilibre, en triomphe et les détruit. De même, si l’on a les pieds alourdis par des humeurs ou quelque maladie, il ne sert de rien que le reste du corps soit léger. S’il en est ainsi des corps, à plus forte raison des cœurs. Prenons donc garde d’alourdir le nôtre, si nous ne voulons pas que, pareils aux esquifs surchargés de lest, ils ne soient engloutis. Cela dépend de nous. Car ce n’est point la nature qui les a faits pesants ; le cœur, de sa nature, est chose légère et faite pour s’élever ; c’est nous qui le rendons pesant, en dépit de la nature. De là le reproche du Prophète : si cette infirmité eût été naturelle, il n’en aurait pas fait un sujet de blâme. De même que la nature nous a créés pour marcher, et que néanmoins si nos jambes sont alourdies, la nature est contrariée et paralysée par cette entrave ; la même chose arrive pour les pieds de notre intelligence, je veux dire pour nos pensées. « Pourquoi chérissez-vous la vanité, et cherchez-vous le mensonge ? » Il me semble qu’ici il a en vue à la fois l’idolâtrie et la vie des méchants. En effet, par vanité, il entend le vide, c’est-à-dire le nom sans la chose. C’est ainsi que les païens ont plusieurs dieux, de nom, et en fait, n’en ont aucun. De même pour le reste ; la richesse est un nom, et rien de plus ; la gloire, un nom, la puissance, un nom et rien qu’un nom. Quel est donc l’homme assez insensé pour s’attacher à des noms sans réalité, à des fantômes qu’il faudrait fuir ? Car les joies, les prospérités de la vie, qu’est-ce autre chose ? Tout cela n’est-il pas leurre et mensonge ? Que vous nommiez la gloire, ou l’argent ou la puissance, tout est vanité. De là ces paroles de l’Ecclésiaste : « Vanité des vanités, tout est vanité. » (Qo. 5,2) Aussi le Prophète gémit-il de : voir tant de déraison dans notre vie. Pareil à un homme qui voyant, quelqu’un fuir la lumière et chercher les ténèbres, lui dirait : Pourquoi fais-tu cette folie ? de même le Prophète nous demande « Pourquoi chérissez-vous la vanité, et cherchez-vous le mensonge ? Et reconnaissez que le Seigneur a couvert son Saint d’une gloire admirable. » Un autre interprète dit : « Mais reconnaissez. »
Voyez-vous la sagesse du Prophète ? D’où part-il pour les amener à la connaissance de Dieu ? Son point de départ est des plus manifestes, sa méthode, des plus claires ; il se propose lui-même en exemple. Je suis serviteur du vrai Dieu, dit-il, apprenez donc par moi à connaître sa puissance, son pouvoir, sa sollicitude. En effet, c’est là un argument d’importance pour nous amener à la connaissance de Dieu. Le Prophète se fonde sur la considération des créatures, lorsque pour démontrer la divine Providence, il promène sa vue du soleil et du ciel, à l’air et à la terre, et part de l’ordre qui règne dans les choses visibles pour glorifier le Créateur, il tire aussi une preuve des serviteurs de Dieu et des événements accomplis par son bras, ce dont l’histoire d’Abraham fournit un exemple. « Nous savons », lui disait-on, « que Dieu vous a envoyé pour régner sur nous. » (Gen. 23,6) Et comment le savez-vous ? Par ses victoires, ses trophées, ses guerres. La même chose arriva aussi pour les Juifs. Les prodiges accomplis en leur faveur ont rempli toute la terre d’épouvante. De là ces paroles de la prostituée de Jéricho : « la terreur de votre nom a fondu sur nous. » (Jos. 2,9) Il y a donc un premier argument, celui que fournit la création ; un second plus décisif, celui qu’offrent les serviteurs de Dieu ; et tel est l’enseignement que Dieu n’a cessé de répandre d’en haut à chaque génération. Il instruisit les Égyptiens par Abraham, les Perses[1] par le même patriarche, les Ismaélites et bien d’autres par ses descendants, d’autres enfin, les Mésopotamiens, par Jacob. Ainsi vous venez de voir toute la terre instruite (ou

  1. Ailleurs, saint Chrysostome appelle ainsi le peuple voisin d’Abraham quand ce patriarche habitait Gérare.