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choses peuvent-elles s’accorder ? Parfaitement, et la liaison est étroite. Quelle que puisse être multitude de nos bonnes œuvres, c’est toujours par un effet de miséricorde et de bonté que nous sommes entendus. Fussions-nous montés au faîte de la vertu, c’est toujours la pitié qui nous sauve. Ce passage nous fait voir qu’à la justice il faut nécessairement joindre un cœur contrit. Qu’un pécheur prie avec humilité, ce qui n’est qu’une partie de la vertu : il peut tout obtenir. Qu’un juste, au contraire, s’approche de Dieu avec présomption, il perd tous ses avantages. C’est ce que prouvent les deux exemples du publicain et du pharisien. Il faut donc apprendre à prier. Mais quelle est la méthode ? Demandez-la au publicain, et ne rougissez pas de le prendre pour maître, lui qui la pratiqua assez bien pour tout, obtenir avec de simples paroles. Attendu que sa pensée était bien préparée, un mot suffit, un seul pour lui ouvrir le ciel. Mais en quoi consistait cette préparation ? Il s’humiliait, il se frappait la poitrine, il craignait de lever les yeux au ciel. Priez de même, et votre prière s’envolera plus légère que la plume. En effet, si un pécheur fut justifié par sa prière, songez combien grandirait un juste, qui saurait présenter une pareille requête. Voilà pourquoi, en ce passage, au lieu de se nommer lui-même, David parle de sa prière. Il dit : Ma prière, comme plus haut il disait : Ma justice : « Ayez pitié de moi, et exaucez ma prière. » Corneille aussi fut exaucé de la même façon, grâce au même avocat. « Tes prières et tes aumônes, est-il écrit, sont montées en présence de Dieu. » (Act. 10,4) Parfaitement, les actions, les bonnes œuvres sont entendues : quant aux prières, celles-là seulement sont écoutées qui sont conformes à la loi divine. Et quelles sont ces prières ? Celles qui demandent à Dieu ce qu’il lui sied de donner, celles qui ne sollicitent pas de lui des faveurs contraires à ses lois.
Mais, dira-t-on, y a-t-il un homme assez téméraire pour prier Dieu d’agir contrairement à ses propres lois ? Je réponds : Celui qui l’invoque contre ses ennemis, car ceci est contre la loi qu’il a établie. C’est lui-même qui a dit : « Remettez à vos débiteurs. » Et toi, tu sollicites contre tes ennemis l’assistance de Celui qui te prescrit le pardon ? Quoi de pire qu’une telle démence ? Celui qui prie doit avoir la posture, les dispositions, les sentiments d’un suppliant ? Pourquoi donc t’affubler de cet autre masque, celui d’un accusateur ? Comment pourras-tu obtenir le pardon de tes propres péchés, si tu appelles la vengeance de Dieu sur les prévarications d’autrui ? Il faut donc que la prière soit douce, paisible, sereine et tendre ; telle est, en effet, celle d’une âme charitable qui ne souhaite pas de mal à ses ennemis ; quant à l’autre prière, elle ressemble à une femme ivre et folle, sordide et furieuse. – Aussi le ciel lui reste-t-il fermé. C’est tout le contraire de la prière faite dans un esprit d’humanité : celle-ci retentit comme un son clair, pénétrant, mélodieux, harmonieux, mesuré, digne de l’ouïe des rois. – Aussi n’est-elle point exclue de la scène et s’en va-t-elle couronnée ; sa lyre est d’or, l’or brille sur ses vêtements. Elle charme son juge, à la fois par son attitude, par ses regards, par sa voix, et personne ne la repousse du seuil de la voûte céleste. – Car elle ravit de joie toute l’assistance. – Telle est la prière digne des cieux : elle est pareille à la voix des anges, ne proférant que de douces paroles ; quand on la présente en formant des vœux pour ses persécuteurs, pour d’injustes ennemis, alors les anges mêmes sont là, qui écoutent en silence ; et lorsqu’elle est terminée, ils ne cessent de la saluer d’applaudissements, d’éloges, d’acclamations. Offrons donc, nous aussi, pareille prière, et quoi qu’il arrive, nous serons exaucés. Et lorsque nous nous approchons de Dieu, ne croyons point avoir pour spectateur le public que vous voyez, mais un public rassemblé dans tout l’univers, et plutôt encore parmi les habitants de la cité d’en haut, et au milieu le Roi lui-même, siégeant pour écouter notre prière. Déployons donc notre talent. Qu’il n’y ait pas un joueur de lyre ou de cithare aussi inquiet au moment d’entrer en scène, aussi agité dans sa crainte de chanter faux, que nous, lorsque nous nous préparons à paraître devant ce public d’anges, que l’archet de notre langue ne fasse entendre aucun son discordant ; que tout soit harmonieux, cadencé, réglé par la sagesse : admis en présence de Dieu, suppliants, prosternés, faisons vibrer la corde au profit de nos ennemis : c’est le moyen d’être exaucés en ce qui nous regarde nous-mêmes.
5. Telle est la prière qui confond les démons, la prière qui nous met nous-mêmes en crédit, la prière qui confond le diable et le met en