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publique. Mais si nous nous approchions de lieu avec la piété convenable, et dans l’attitude requise pour un pareil entretien, alors nous reconnaîtrions, même avant d’avoir obtenu l’objet de notre demande, quel fruit nous retirons de là. Un homme qui sait parler à Dieu comme il sied de lui parler n’est plus un homme, c’est un ange, tant son âme est délivrée des chaînes corporelles, tant sa pensée habite une région sublime ; tant il s’élève au rang des habitants des cieux ; tant il dédaigne les biens charnels : tant il s’approche du trône royal, fût-il pauvre, esclave, obscur, ignorant : Car ce qui plaît à Dieu, ce n’est point le charme du langage ; ni l’harmonieux arrangement des paroles, c’est la beauté de l’âme ; et si l’âme tient le langage qui lui agrée, le suppliant s’éloigne complètement exaucé. Voyez-vous combien c’est chose facile ? Quand il s’agit de supplier un homme, il faut être éloquent, savoir flatter tous ceux qui entourent le maître, recourir enfin à mille autres expédients pour être accueilli avec faveur. Ici, rien de pareil ; il ne faut qu’un esprit attentif, et rien ne nous ferme plus l’accès de la Divinité : « C’est moi, c’est Dieu qui approche, le Seigneur n’est pas loin. » (Jer. 23,23) En sorte que s’il est éloigné, c’est par notre faute, par lui-même, il est toujours près de nous. Et que dis-je, que nous n’avons pas besoin d’éloquence ? Souvent c’est la voix même qui ne nous est pas nécessaire. Parlez à Dieu au fond du cœur, invoquez-le comme il convient, il se hâtera encore de vous exaucer. C’est ainsi qu’il entendit Moïse, ainsi qu’il entendit Anne. Près de lui, point de soldat pour écarter les suppliants, point de satellite, qui leur fasse perdre l’occasion ; personne pour dire, en ce moment il est impossible d’avoir audience, revenez plus tard. Dès que vous arrivez, il est là qui vous écoute, que ce soit l’heure du dîner, celle du souper, une heure quelconque de la nuit, sur la place, dans la rue, dans votre chambre, au tribunal où vous assistez le magistrat ; invoquez-le, vous voilà exaucé sans obstacle, pourvu que vous l’invoquiez comme il faut. Vous ne sauriez dire : je crains d’approcher, de présenter ma requête mon ennemi est là ; cette difficulté même est levée, il ne prête point l’oreille à votre ennemi, il n’interrompt point votre supplication, toujours, sans cesse, vous pouvez l’aborder, rien ne vous en empêche, car vous n’avez pas besoin de recourir à des portiers, à des intendants, à des procureurs ; à des gardes, à des courtisans ; quand vous l’abordez directement vous-même, c’est alors qu’il vous écoute le mieux, oui, dis-je, alors que vous n’aurez invoqué l’assistance de personne.
3. Ainsi donc, pour le fléchir, aucune entremise ne vaut notre sollicitation immédiate. Désirant notre amour, jaloux de nous inspirer ; par tous les moyens, une ferme confiance en lui, il n’est jamais plus disposé à nous satisfaire, que lorsqu’il nous voit ne recourir qu’à nous-mêmes : C’est ce que montre l’exemple de la Chananéenne. Pierre et Jacques lui avaient parlé pour elle inutilement : elle persévérait, il exauça promptement sa prière. En effet, le court délai qu’il parut lui faire subir n’avait pas pour objet de la faire languir, mais de lui procurer une plus belle couronne, et de s’assurer par un plus long usage la possession de son attachement. Appliquons-nous donc, nous aussi, à entrer en rapport avec Dieu : apprenons quelles sont les règles de ce commerce. – Il n’est pas besoin d’aller à l’école, de dépenser de l’argent, de payer des maîtres, des rhéteurs, des sophistes, de perdre beaucoup de temps à se pénétrer des préceptes de l’éloquence, il suffit de vouloir, et l’on est artiste consommé : sans compter que ce n’est pas seulement pour vous-mêmes, mais pour beaucoup d’autres encore, que vous pourrez parler devant ce tribunal. Et quel doit être l’objet de votre étude ? C’est d’apprendre à prier.
S’approcher de Dieu avec un esprit attentif, un cœur contrit ; des yeux inondés de larmes ; ne rien demander de terrestre, désirer exclusivement les biens de l’autre vie ; solliciter les avantages spirituels, ne pas souhaiter de mal à ses ennemis, ne montrer du ressentiment contre personne, bannir de son âme toute passion, être pénétré de componction, s’humilier, s’exercer à une douceur parfaite, surveiller sa langue, ne prendre part à aucune action coupable, rester pur de toute complicité avec l’ennemi commun de l’univers, je veux dire le diable : voilà les conditions pour obtenir audience. Les lois humaines elles-mêmes punissent celui qui parle à un roi pour autrui, tout en s’entendant avec les ennemis de ce monarque. Et vous pareillement, si vous voulez plaider et votre cause et celle d’autrui, songez avant tout à n’avoir rien de commun avec le commun ennemi du monde. À cette condition, vous serez juste ; et