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de sa tige ; par la tête était retenu celui qui voulait prendre la tête de son père ; comme un fruit, pendait à l’arbre l’assassin de celui qui avait enfoui le germe de son être ; et son cœur servait de but aux flèches, en sorte qu’il fut victime à l’endroit même où il avait projeté d’être meurtrier.
Alors s’offrait aux yeux un spectacle étrange. Comme il était monté sur un mulet, sa chevelure demeura prise dans la chevelure de l’arbre[1] ; si bien qu’une chevelure retenait l’usurpateur par une autre chevelure, meurtrissant cet endroit même où il avait entrepris de placer le diadème paternel. On pouvait donc voir Absalon suspendu entre le ciel et la terre ; le ciel se refusait à l’accueillir ; en effet, s’il avait rejeté le premier rebelle dans la personne du diable, comment ce nouveau rebelle aurait-il pu y avoir accès ? La terre le repoussait également, pour ne pas se laisser souiller par les pieds d’un parricide ; car, si elle avait englouti Dathan coupable d’avoir parlé contre Moïse, si elle ouvrit la bouche pour dévorer celui qui avait ouvert la bouche pour médire, comment aurait-elle consenti à porter un homme qui courait attaquer son père. – Comme il était donc suspendu au haut de l’arbre, survint Joab, le généralissime, qui planta trois flèches dans le cœur de cet enfant sans cœur, frappant juste au réceptacle de son iniquité ; et, faisant allusion à l’arbre où le rebelle était resté suspendu, David célébra sa mort dans ce beau chant funèbre : « J’ai vu l’impie extrêmement élevé, et qui égalait en hauteur les cèdres du Liban. J’ai passé : il n’était plus. » (Ps. 36,35) « Psaume pour David, lorsqu’il fuyait devant son fils Absalon. » Il fuyait, non comme un peureux, mais pour sauver les jours de son fils ; car si, pour son compte, il l’épargnait en père, ses compagnons n’auraient pas fait grâce à un révolté. Voilà, pourquoi David, poursuivi par son fils, et en butte, par suite, aux injures de Séméi, persévéra pour sa part dans sa longanimité ; mais comme beaucoup de gens s’en armaient contre lui, principalement les complices d’Absalon, et s’enhardissaient, le croyant abandonné de la Providence (David est seul maintenant, disaient-ils, privé de tout secours, Dieu s’est détourné de lui comme autrefois de Saül ; jadis il a quitté Saül pour David, il abandonne maintenant David pour Absalon ; soulevons-nous, attaquons-le, il n’a point de recours en Dieu), David, plus affligé de ces propos que des égarements de son fils, consulte le Seigneur : « Seigneur, pourquoi mes persécuteurs se sont-ils multipliés ? » Je suis circonvenu par les tentations, débordé par le torrent de l’infortune, la pluie fatale est tombée, le fleuve de la guerre a fait irruption, le souffle des mauvais esprits s’est déchaîné, il a ébranlé ma maison, afin d’emporter mon âme loin de vous ; mais solidement établi sur la pierre de la foi, je ne tombe point, je me prosterne et vous demande : « Seigneur, pourquoi mes persécuteurs se sont-ils multipliés ? » Celui qui vient de moi est contre moi ; mais vous êtes, vous, au-dessus de moi. Mes entrailles me font la guerre ; mon peuple suit Absalon, mes soldats s’arment contre moi. Mes brebis sont devenues loups ; mes agneaux, lions ; mes petits moutons, chiens enragés ; mes béliers, taureaux furieux ; ce n’est pas pour moi que je m’afflige ; c’est leur perte, à eux, qui cause mes gémissements.

  1. Il n’est pas à propos de faire remarquer ici qu’un bon nombre de ces métaphores étaient plus familières aux Grecs qu’elles ne le sont aux modernes, et particulièrement aux Français.