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par mille ingrédients : mais les fontaines offrent leur eau à qui veut la boire, riche ou pauvre. Vous riez peut-être de cette égalité-là. Apprenez donc combien le meilleur vin est moins précieux que l’eau, moins nécessaire, moins utile : alors vous comprendrez votre erreur, et vous connaîtrez la vraie richesse des pauvres. S’il n’y avait plus de vin, ce ne serait pour personne un grand dommage, hormis pour les seuls malades : mais tarir les sources d’où l’eau jaillit, anéantir cet élément, ce serait bouleverser toute notre existence, ruiner toutes les industries, nous ne saurions plus vivre seulement deux jours, nous péririons bientôt de la mort la plus cruelle et la plus misérable.
4. Par conséquent dans les choses les plus nécessaires, dans celles qui constituent notre subsistance, le pauvre n’a aucun désavantage, ou même, s’il faut dire quelque chose d’étonnant, il a un avantage sur le riche. En effet, on voit souvent des riches que les infirmités corporelles causées par la bonne chère condamnent à s’abstenir d’eau le plus possible : le pauvre, au contraire, durant toute la durée de sa vie, jouit en paix de ce breuvage ; comme à une source de miel, on le voit courir à la fontaine, et trouver dans cette boisson un plaisir pur et sans mélange. Que dire maintenant du feu ? N’est-ce point un bien plus nécessaire que mille trésors et que toutes les richesses humaines ? Eh bien ! le feu comme l’eau est un trésor mis également à la disposition du riche et du pauvre. Et les services que rend l’air à notre corps, et les rayons de la lumière, est-ce qu’ils sont dispensés plus généreusement aux riches qu’aux pauvres ? Est-ce que les uns ont quatre yeux, les autres deux seulement pour voir la lumière ? On ne saurait le dire, riches et pauvres participent à ce bien dans la même mesure, ou plutôt ici encore on peut remarquer que les pauvres sont mieux partagés que les riches, en ce qu’ils ont les sens plus éveillés, la vue plus perçante, une sûreté de perception plus grande. Aussi goûtent-ils des plaisirs plus véritables, aussi jouissent-ils plus pleinement et avec plus de délices du spectacle de la création. Et ce n’est pas seulement en ce qui concerne les éléments, c’est encore à l’égard de toutes les choses que nous offre la nature, que vous verrez régner une parfaite égalité, ou plutôt une inégalité à l’avantage du pauvre. Le sommeil, ce bien plus nécessaire et plus doux que toutes les voluptés, plus utile que tous les aliments, le sommeil est plus facile pour les pauvres que pour les riches, et non seulement plus facile, mais encore plus profond. Les riches par l’abondance où ils vivent, par leur habitude de manger sans faim, de boire sans soif, de se mettre au lit sans sommeil, deviennent insensibles à tous les plaisirs : car ce n’est pas tant la nature des choses que le besoin qui nous fait trouver du charme à toutes ces choses. Ce qui nous réjouit, ce n’est donc point tant de boire un vin délicieux et parfumé, que de boire lorsqu’on a soif ; ce n’est pas tant de manger des gâteaux, que de manger quand on a faim ; ce n’est pas tant de dormir sur une couche moelleuse ; que de dormir quand on a sommeil or tout cela se rencontre plutôt chez les pauvres que chez les riches. Et la santé du corps, et les autres avantages physiques ne sont-ils point communs à la fois aux riches et aux pauvres ? Est-ce que quelqu’un peut prétendre ou montrer que les pauvres seuls tombent malades, tandis que les riches restent jusqu’au bout dans une parfaite santé ? C’est le contraire que l’on peut voir : les pauvres sont rarement atteints de maladies incurables, tandis qu’elles prennent naissance constamment dans le corps des riches. Goutte, migraine, affaiblissement, contractions de nerfs, impossibles à guérir, humeurs vicieuses et corrompues de toute sorte, c’est encore aux riches que s’attaquent principalement toutes ces incommodités, aux riches qui vivent dans la mollesse, aux riches qui exhalent l’odeur des parfums, et non point aux hommes de travail et de peine, à ceux qui se procurent par un travail quotidien ce qui est nécessaire à leur subsistance.
5. Aussi les mendiants sont-ils moins à plaindre que tous ces hommes qui vivent au sein du luxe : et ces derniers eux-mêmes ne feraient pas difficulté d’en convenir. Souvent un riche étendu sur une couche moelleuse, entouré d’esclaves et de servantes, objet de la part de tous, des soins les plus empressés, s’il vient à entendre dans la rue un pauvre qui crie, qui demande du pain, pleure, gémit, souhaite le sort de cet homme avec sa santé, au prix de sa propre opulence et de ses infirmités. Et ce n’est pas seulement en santé, c’est encore en ce qui concerne les enfants qu’on trouvera que le riche n’est nullement supérieur au pauvre : chez les uns et les autres on trouve également des familles nombreuses et