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ne roule point sur tes premières choses venues, mais sur la prière, notre espérance : sur une prière qui rendit mère une femme stérile, féconde une femme sans enfants, heureuse une femme affligée : une prière qui procura l’amendement d’une nature infirme, fit ouvrir un sein fermé et rendit possible tout ce qui était impossible. Examinons donc toute chose en détail, déployons chaque phrase, afin que rien absolument ne nous échappe, autant qu’il est en nous. C’est dans cette vue que nous avons consacré deux conférences entières à deux seules phrases, la première ainsi conçue : Mon cœur a été affermi dans le Seigneur ; et en second lieu, celle qui vient ensuite : Ma corne a été exaltée dans mon Dieu. Aujourd’hui nous arrivons à la troisième, quelle est-elle ? Ma bouche s’est ouverte vis-à-vis de mes ennemis : je me suis réjouie dans votre salut. Faites attention à l’exactitude des termes. Elle ne dit pas : ma bouche s’est armée contre mes ennemis : car sa bouche n’était point préparée pour l’injure ou pour la raillerie, pour l’invective ou les accusations, mais bien pour l’exhortation et le conseil, pour la correction et l’avertissement. Voilà pourquoi au lieu de dire ma bouche s’est armée contre mes ennemis, elle dit : Ma bouche s’est ouverte. Je suis libre, veut-elle dire, je jouis de mon franc-parler. A l’heure qu’il est, j’ai secoué mon opprobre, je suis revenue à la liberté. Et elle continue à ne point désigner sa rivale par son nom, elle n’emploie qu’une appellation vague, dont elle couvre, comme d’un masque, celle qui l’avait persécutée. Elle ne dit pas à la façon de bien des femmes : Dieu l’a humiliée, il a brisé, il a précipité cette méchante, cette orgueilleuse, cette hautaine créature : elle se borne à dire : Ma bouche s’est ouverte vis-à-vis de mes ennemis ; je me suis réjouie dans votre salut.
Voyez comme elle reste fidèle à la même loi dans toute sa prière. Ainsi qu’elle avait dit au commencement : Mon cœur a été affermi dans le Seigneur, ma corne a été exaltée dans mon Dieu, ma bouche s’est ouverte vis-à-vis de mes ennemis; elle dit ici : Je me suis réjouie dans votre salut; non pas seulement dans le salut, mais dans votre salut. En effet, ce n’est pas d’avoir été sauvée, mais d’avoir été sauvée par vous, que je me réjouis, que je suis heureuse. Telles sont les âmes des saints. Les bienfaits venant de Dieu leur causent moins de joie que le bienfaiteur lui-même : ils ne l’aiment pas pour ses bienfaits, ils aiment ses bienfaits à cause de lui. C’est le fait de serviteurs reconnaissants, d’esclaves pénétrés de gratitude, que de préférer ainsi leur Maître à tout ce qu’ils possèdent. Que ces dispositions, je vous y exhorte, soient aussi les nôtres. Pécheurs, ne gémissons point d’être punis, mais d’avoir irrité le Maître ; vertueux, ne nous réjouissons point à cause du royaume des cieux, mais à cause du plaisir que nous avons fait au Roi des cieux. En effet, le sage redoute plus que tous les tourments de l’enfer, de déplaire à Dieu, comme aussi lui plaire a plus de prix à ses yeux que tout le bonheur du royaume. Et ne vous étonnez point que tels doivent être à l’égard de Dieu nos sentiments, quand les hommes mêmes trouvent souvent des gens ainsi disposés pour eux. Il nous échoit souvent des fils dignes de nous : s’il nous arrive de leur faire, même malgré nous, quelque mal, nous nous châtions, nous nous punissons nous-mêmes : et nous agissons pareillement à l’égard de nos amis. Mais si, quand il s’agit de nos amis ou de nos fils, nous trouvons moins dur d’être punis que de les affliger, à plus forte raison devons-nous être vis-à-vis de Dieu dans les mêmes dispositions et juger tous les supplices de la géhenne moins affreux que d’aller contre sa volonté. Tels étaient les sentiments du bienheureux Paul ; or, c’est ce qui lui faisait dire : Je suis certain que ni anges, rai principautés, ni puissances, ni choses présentes, ni choses futures, ni ce qu’il y a de plus élevé, ni ce qu’il y a de plus profond, ni aucune autre créature ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu, qui est dans le Christ Jésus Notre Seigneur. (Rom. 8,38-39) Et nous-mêmes, lorsque nous célébrons le bonheur des saints martyrs, nous les célébrons d’abord à cause de leurs blessures, puis à cause de leurs récompenses ; d’abord à cause de leurs épreuves, puis à cause des couronnes réservées pour eux. En effet, les blessures sont l’origine des récompenses, les récompenses ne sont point l’origine ni le principe des plaies.
3. De même le bienheureux Paul se réjouissait moins des biens qui l’attendaient que des souffrances qu’il lui arrivait d’endurer pour Jésus-Christ, et il s’écriait : Je me réjouis dans mes afflictions pour vous (Col. 1,24), et ailleurs : Ce n’est pas tout, mais nous nous glorifions encore dans les tribulations (Rom. 5, 3) ; ailleurs :