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faisant partie de ce sexe accusé et décrié, elle se lava de tous ces reproches, et montra par ses actes que les femmes elles-mêmes ne sont point telles par nature, mais bien par choix ou par nonchalance, et qu’il est possible à leur sexe d’atteindre au sommet de la vertu. L’amour-propre et la persévérance sont dans la nature de cet être : de sorte que si la femme se laisse aller au vice, elle fait beaucoup de mal : si au contraire elle s’applique à la vertu, elle sacrifiera sa vie, avant de renoncer à sa résolution.
C’est qu’Anne elle-même triompha de la nature, vainquit ainsi la nécessité, et par l’assiduité de sa prière, fit germer un enfant dans son sein d’abord impuissant. Aussi recourt-elle de nouveau à la prière, même après avoir été exaucée : Mon cœur, dit-elle, s’est affermi dans le Seigneur, ma corne a été exaltée en mon Dieu. (1Sa. 2,1) Vous savez que l’autre jour[1] j’ai dévoilé à votre charité le sens de ces mots : Mon cœur s’est affermi dans le Seigneur: il faut maintenant vous expliquer les paroles qui suivent : après qu’elle a dit : Mon cœur s’est affermi dans le Seigneur, elle ajoute : Ma corne a été exaltée en mon Dieu. Qu’est-ce à dire, ma corne ? L’Écriture fait un usage perpétuel de cette expression, par exemple ici, ma corne a été exaltée (Ps. 74,11), et ici encore : La corne de son Christ a été exaltée. (1Sa. 11,10) De quelle corne veut-elle donc parler ? Elle entend par ce mot la puissance, la gloire, l’illustration, en vertu d’une comparaison avec certains animaux. En effet pour gloire et pour arme, ceux-ci n’ont reçu de Dieu que la corne, et s’ils viennent à la perdre, ils perdent du même coup presque toute leur force : un taureau sans cornes est comme un soldat désarmé ; on s’en rend maître facilement. Anne n’entend donc point autre chose par cette expression : Ma gloire a été exaltée. Et comment a-t-elle été exaltée ? En mon Dieu, dit-elle. Dès lors l’élévation n’est plus dangereuse, car elle a un fondement solide, une racine inébranlable. En effet, la gloire qui vient des hommes reproduit en soi la faiblesse de ceux qui la décernent : aussi est-elle facilement renversée. II n’en est pas ainsi de celle qui vient de Dieu : celle-là demeure à jamais inébranlable. C’est de là que le Prophète, voulant montrer à la fois la fragilité de l’une et la solidité de l’autre, a dit : Toute chair est du foin, et toute gloire humaine est comme la fleur du foin. Le foin se dessèche et la fleur tombe. (Is. 40,6-7) La gloire qui vient de Dieu est autre : mais encore ? La parole de Dieu persiste durant l’éternité. (Is. 40,8) Et c’est ce que prouve aussi l’exemple d’Anne. En effet, on oublie les rois, les généraux, les monarques, malgré tous leurs efforts pour immortaliser leur mémoire, malgré les magnifiques tombeaux qu’ils se font bâtir, les statues qu’ils élèvent, les bustes qu’ils érigent en tous lieux, les monuments qu’ils laissent de tout côté en souvenir de leurs succès ; et leur nom même n’est plus connu de personne. Mais Anne est célébrée encore aujourd’hui dans tous les endroits de l’univers : allez en Scythie, en Égypte, chez les Indiens, aux extrémités de la terre, partout vous entendrez des bouches vanter ses mérites : partout où luit la lumière du soleil, la gloire d’Anne étend son domaine. Et ce qu’il faut admirer, ce n’est pas seulement qu’Anne soit célébrée dans tous les lieux du monde, c’est encore, qu’après un tel laps de temps, sa réputation, loin de s’éteindre ne fait que prendre de nouvelles forces et un nouvel accroissement ; que tous connaissent sa sagesse, sa patience, sa résignation, dans les villes et aux champs, dans les maisons, dans les camps, sur les vaisseaux, dans les boutiques, partout vous entendrez son éloge. Car lorsque Dieu veut glorifier quelqu’un, la mort a beau venir, le temps s’écouler, les accidents survenir, la gloire de ce mortel subsiste et garde éternellement ses fleurs : et nul n’est capable de jeter de l’ombre sur cet éclat. Aussi, comme pour apprendre à tous nos auditeurs qu’il ne faut point mettre son recours dans les choses périssables, mais dans le principe des biens durables et éternels, Anne nous fait connaître celui à qui elle dut sa gloire. Après avoir dit : Mon cœur a été affermi dans le Seigneur, elle ajoute : Ma corne a été exaltée dans le Seigneur : faisant allusion par là à deux biens qui ne se rencontrent pas ordinairement ensemble. J’ai été sauvée de la tempête, dit-elle, j’ai échappé au déshonneur, j’ai trouvé la sécurité, j’ai reçu ma part de gloire. Voilà les deux choses qu’il est rare de trouver réunies. Beaucoup d’hommes vivent à l’abri du danger, mais leur vie n’a rien de glorieux : d’autres au contraire jouissent d’une gloire éclatante, ruais ils sont forcés de braver le péril à cause de cette

  1. Dans un sermon qui était le quatrième sur Anne et que nous n’avons plus.