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apprenons comment fut guérie son infirmité, et ce qu’elle fit alors, après sa guérison, et comment elle usa du présent qu’elle avait reçu de Dieu. Elle s’assit, dit l’historien, et allaita Samuel.
Voyez-vous comment dès lors elle considérait cet enfant, non comme un enfant seulement, mais encore comme une offrande ; elle avait deux raisons de l’aimer, l’une de nature, et l’autre de grâce. Il me semble qu’elle respectait son enfant, et cela se conçoit. En effet, ceux qui se proposent de consacrer à Dieu des coupes ou des vases d’or, une fois qu’ils les ont tout prêts entre les mains, et qu’ils les tiennent en réserve chez eux en attendant le jour de la consécration, ne les considèrent plus désormais comme des objets profanes, mais comme des offrandes, et ne se permettent pas même d’y toucher sans motif et sans utilité, comme ils font pour les autres choses de ce genre ; Anne, à bien plus forte raison, donnant ses soins à l’enfant dans cette même pensée, tout d’abord, avant de l’introduire dans le temple, l’aimait plus qu’un enfant ordinaire, et le respectait comme une offrande, pensant être sanctifiée par lui ; en effet, sa maison était devenue un temple, depuis qu’elle renfermait ce prêtre, ce prophète. Mais sa piété ne se montre point seulement dans sa promesse ; elle se révèle encore en ceci, qu’elle n’osa pas entrer dans le temple, avant d’avoir sevré son fils. Elle dit à son mari : Je ne monterai point au temple, jusqu’à ce que l’enfant y monte avec moi mais lorsque je l’aurai sevré, il sera offert à la vue du Seigneur, et il siégera là pour toujours. (1Sa. 1,22) Voyez-vous ? Elle ne jugeait pas prudent de le laisser à la maison et de monter au temple. Après le présent qu’elle avait reçu, elle ne supportait pas la pensée de se montrer sans ce présent ; au contraire, lorsqu’elle l’aurait pris avec elle pour l’amener au temple, il devait lui en coûter de redescendre. Voilà pourquoi elle attendit si longtemps pour paraître au temple avec son présent. Alors elle l’amena, elle le laissa et l’enfant, pas plus qu’elle, ne gémit, en se voyant dérober la mamelle. Vous savez pourtant quelle est la douleur des enfants que l’on sèvre. Mais Samuel ne fut point chagrin en se voyant arracher sa mère ; ses regards se reportèrent sur le Maître, à laquelle celle-ci même devait le jour, et la mère de son côté, ne souffrit point d’être séparée de son enfant parce que la grâce intervint pour triompher des attachements naturels, et parce qu’ils se croyaient encore réunis. Ainsi la vigne étend ses rameaux bien loin de la place étroite qui enferme sa tige, sans que cet éloignement empêche la grappe de faire partie du même corps que la racine ; la même chose se réalisa pour Anne. De la ville où elle demeura, elle projeta son rameau jusqu’au temple, et suspendit en cet endroit sa grappe mûre et la distance des lieux ne les sépara point, parce que la charité selon Dieu maintenait dans leur union la mère et l’enfant. Grappe mûre, ai-je dit, mûre noir par l’âge, mais par la qualité ; pour tous ceux qui montaient au temple, Samuel était un maître de piété profonde. Car si la curiosité les portait à s’enquérir, des circonstances qui avaient environné sa naissance, ils gagnaient à cela une consolation efficace, l’espoir en Dieu. Et personne, à la vue de ce jeune enfant, ne s’en allait en silence ; mais tous glorifiaient l’auteur de ce bienfait inespéré. Voilà pourquoi Dieu avait différé l’enfantement ; c’était pour rendre cette joie plus profonde, c’était pour jeter sur Anne plus d’éclat. Car ceux qui connaissaient son infortune devenaient des témoins de la grâce que Dieu lui avait faite ; de telle sorte que sa longue stérilité servit à la faire mieux connaître de tous, à la rendre un objet d’envie, d’admiration universelles, et à faire adresser, à son sujet, des actions de grâces à Dieu. – Je dis cela pour, que, s’il nous arrive de voir de saintes femmes en état de stérilité, ou en proie à quelque semblable infortune, nous n’éprouvions ni colère, ni amertume, et que nous ne disions pas en nous-mêmes : Pourquoi donc Dieu a-t-il négligé une femme si vertueuse, et ne lui a-t-il point donné d’enfant ? Car ce n’est point là le fait de la négligence, mais celui d’une science mieux instruite que nous-mêmes de ce qui nous importe. Anne monta donc au temple, elle introduisit l’agneau dans la crèche, le veau dans l’étable, dans la prairie, la rose sans épines, rose non passagère, mais perpétuellement en fleur, rose capable de s’élever jusqu’au ciel, rose dont l’odeur enivre encore aujourd’hui tous les habitants de la terre. Bien des années se sont succédées, et le parfum de cette vertu ne fait que s’accroître, et la longueur du temps écoulé ne l’a point affaibli. Telle est la nature des choses spirituelles.
3. Elle monta donc au temple, afin de transplanter