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qui vient de l’outrager. Et elle ne dit pas comme beaucoup de gens : Le prêtre m’a dit cela ? Celui qui instruit les autres m’a raillée ainsi au sujet du vin et de l’ivrognerie ? Elle tâcha seulement d’éloigner d’elle ce soupçon, qui d’ailleurs n’était pas fondé.
5. Nous au contraire, lorsqu’on nous injurie, souvent au lieu de nous justifier et de nous éloigner ensuite, nous attisons le feu, et nous nous jetons comme des bêtes féroces sur les provocateurs, les prenant à la gorge, les malmenant, leur demandant compte de leurs propos, et par notre conduite même, nous confirmons le soupçon dirigé contre nous. Si vous voulez prouver aux insolents que vous n’êtes pas ivre,.employez à cela la douceur et la modération, non point la violence ni l’invective. En effet, si vous frappez celui qui vous a fait affront, tout le monde vous croira réellement ivre : si au contraire vous avez montré de là patience et de la magnanimité, vous aurez par votre conduite même écarté de vous ce mauvais soupçon. Anne fit ainsi dans cette occurrence, et après avoir dit non, seigneur, par ses actes mêmes elle montra la fausseté du soupçon. Mais d’où vient enfin que le prêtre ait pu concevoir ce soupçon ? L’avait-il vue rire ? ou danser ? ou marcher de travers et tomber ? ou proférer quelque parole honteuse ou ignoble ? D’où lui venait donc ce soupçon ? Ce n’était point du hasard, ni d’une rencontre fortuite, mais bien du moment de la journée. On était au milieu du jour, quand Anne adressait sa prière. Qu’est-ce qui le prouve ? Les paroles mêmes qui précèdent. Anne se leva, dit l’Écriture, après qu’ils eurent mangé dans Sélom, et après qu’ils eurent bu, et elle se tint debout devant le Seigneur. Voyez-vous ? Ce qui est pour tous un temps de repos, elle en faisait un temps de prière ; en quittant la table, elle courait offrir ses veaux, elle versait des torrents de larmes, elle montrait une sagesse et un sang-froid parfait : c’est en quittant la table qu’elle priait avec tant de ferveur pour obtenir un don surnaturel, la fin de sa stérilité, la guérison de son mal. Anne nous procure donc ce bénéfice, de savoir prier après le repas. En effet, l’homme préparé à un tel acte, ne tombera plus dans l’ivresse et dans la débauche, ne se rendra plus malade à force de manger ; mais l’attente de la prière étant pour lui comme un frein mis sur sa pensée, il touchera aux mets sans s’écarter jamais de la mesure convenable, et par là attirera sur son âme, sur son corps, une abondance de bénédictions. Une table où l’on s’assied en priant, d’où l’on se lève en priant, ne manquera jamais de rien, et ce sera pour nous une source inépuisable de biens de toute sorte. Ne négligeons donc point un tel avantage. En effet il serait absurde que nos serviteurs, si nous leur faisons largesse de quelque portion de notre repas, nous soient reconnaissants et s’éloignent avec des remerciements ; et que nous, qui jouissons de tant de biens, nous refusions de payer à Dieu une dette si légère, et cela, quand nous devons y trouver une forte garantie pour notre sécurité. Car là où sont la prière et la gratitude, la grâce du. Saint-Esprit ne fait point défaut, les démons prennent la fuite, et toutes les puissances ennemies s’éloignent et battent en retraite. Celui qui va se donner à la prière, ne se permet aucun propos déplacé, même au milieu du repas ; ou ; s’il tombe dans un tel écart, il s’en repent aussitôt. Il faut donc et au commencement et à la fin, rendre grâce à Dieu : le fruit principal de cette conduite sera de nous préserver de l’ivresse, comme je l’ai dit plus haut, grâce à l’habitude que nous aurons contractée. Par conséquent, quand bien même tu te lèverais avec la migraine ou en état d’ivresse, ne renonce point pour cela à ta pratique accoutumée : quand bien même nous aurions la tête alourdie, quand nous irions de travers et que nous tomberions, prions encore, ne renonçons pas à notre habitude. Car si la veille, tu as prié en cet état, le lendemain, tu répareras l’indécence de ta conduite de la veille. Ainsi donc, lorsque nous prenons nos repas, souvenons-nous d’Anne, et de ses larmes, et de cette noble ivresse. Elle était ivre, aussi, cette femme, non de vin, mais de piété. Telle après le repas, que devait-elle être au lever du jour ? Si après l’heure de boire et de manger, elle priait avec tant de constance, que devait-elle être auparavant ?
6. Revenons à ses paroles, dont on ne saurait trop admirer la sagesse et la mansuétude. Après avoir dit non, seigneur, elle ajoute : Je suis une femme dans l’affliction, et je n’ai bu ni vin ni liqueur enivrante. (1Sa. 1, 15) Observez comme ici encore elle tait les injures de sa rivale, s’abstient de dénoncer sa méchanceté, comme aussi de représenter sous des couleurs tragiques sa propre infortune, mais elle ne découvre de sa peine que ce qui est