Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 5, 1865.djvu/507

Cette page n’a pas encore été corrigée

qu’il ajoute : Devant le Seigneur : car si nous prions tous, nous ne prions pas tous également devant Dieu. En effet, quand, le corps prosterné, et la langue se démenant au hasard, notre pensée se promène dans tous les endroits de notre maison et de la place publique, comment pourrait-on dire, après cela, qu’on a prié devant Dieu. Celui qui prie devant Dieu est celui qui recueille de toutes parts sa pensée, qui n’a plus rien de commun avec la terre, qui est transporté dans le ciel, qui n’a plus dans l’intelligence aucune pensée humaine. C’est ce qu’Anne fit alors. En effet, entièrement repliée sur elle-même, l’esprit parfaitement attentif, elle invoquait Dieu avec une âme affligée, Mais comment l’historien peut-il dire qu’elle se répandait en prières ? La prière d’Anne est courte. Elle ne fait point de longs discours, elle ne prolonge point indéfiniment sa supplication : ses paroles sont brèves et simples : Adonaï, Seigneur, Eloï, Sabaoth, si, jetant les yeux, vous regardez vers l’humiliation de votre servante, et que vous vous souveniez de moi, et que vous n’oubliiez point votre servante, et que vous accordiez à votre servante un rejeton mâle, je vous le donnerai en présent devant votre face, jusqu’au jour de sa mort. Et il ne boira ni vin ni liqueur enivrante, et le fer ne montera pas sur sa tête. (1Sa. 1,11) Où est donc cette effusion de paroles ? À quoi fait allusion ce mot : Elle se répandait ? c’est qu’elle répétait continuellement la même chose, c’est qu’elle ne se fatiguait point de passer un long temps à redire les mêmes paroles. Et c’est justement ainsi que dans les Évangiles le Christ nous prescrit de prier. Car, en disant aux disciples de ne point prier à la façon des païens, il nous a enseigné, par là, à ne point prodiguer les mots, à garder une mesure dans nos prières : faisant voir que ce n’est point par la multitude des paroles, mais par la sagesse des pensées qu’on réussit à se faire exaucer. Mais comment, objectera quelqu’un, s’il faut, prier en peu de mots, comment a-t-il une parabole pour enseigner la nécessité de prier toujours, celle de cette veuve qui, par l’insistance de ses supplications, par la fréquence de ses visites, fléchit un juge dur et inhumain, sans crainte de Dieu, sans respect des hommes. Et comment aussi expliquer cette exhortation de Paul : Persistant dans la prière, et encore : Priez sans relâche. S’il faut en même temps ne pas multiplier les paroles, et prier continuellement, voilà deux préceptes qui se contredisent. Non, ils ne se contredisent point, à Dieu ne plaise, ils s’accordent au contraire merveilleusement. En effet, le Christ et Paul ont prescrit pareillement de faire des prières courtes et fréquentes, à petits intervalles. Car si tu prolonges trop ton invocation, il arrive souvent que tu soutiennes plus ton attention, et que, par là, tu donnes au diable une grande facilité pour s’approcher, pour te prendre en traître, pour détourner ta pensée des paroles que tu prononces : si, au contraire, tes prières sont continuelles, fréquentes et séparées par de petits intervalles, il te sera facile de rester maître de toi, et tes prières mêmes gagneront à cela d’être faites avec beaucoup d’attention. Voilà ce que faisait Anne : elle ne multipliait point les paroles, mais elle revenait à Dieu coup sur coup et d’instant en instant. Ensuite, lorsque le prêtre lui eut fermé la bouche (car c’est ce que signifie : il observait sa bouche, et les lèvres de celle-ci remuaient, et l’on n’entendait pas sa voix), elle fut forcée d’obéir au prêtre et de se taire. La parole lui était donc ôtée, mais non la liberté de prier, et son cœur n’en criait que plus fort au fond de sa poitrine. – Car il n’y a pas de prière comparable à ces cris qui partent du dedans : rien n’indique mieux une âme dans la peine, que de manifester son vœu, non par un effort de voix, mais par un mouvement impétueux de la pensée.
3. Ainsi priait Moïse pareillement ; aussi, sans qu’il prononçât aucune parole, Dieu lui dit : Pourquoi cries-tu vers moi ? Les hommes n’entendent que la voix qui frappe l’oreille ; mais Dieu entend avant celle-là, les cris qui sortent des entrailles. On peut donc, sans crier, se faire entendre, on peut prier mentalement et très-bien en se promenant sur la place ; dans une réunion d’amis, en quelque occupation que ce soit, on peut invoquer Dieu à haute voix, je parle de la voix intérieure, à l’insu de toutes les personnes présentes. Telle fut la prière d’Anne. On n’entendait pas sa voix, et Dieu l’entendit. Tel était le cri qui sortait de ses entrailles. Et le jeune ministre d’Héli lui dit : Quand cesseras-tu d’être ivre ? Secoue ton vin et éloigne-toi de la présence du Seigneur. C’est ici principalement qu’apparaît la ; sagesse d’Anne. Au logis, sa rivale l’outrageait, elle vient au, temple, et le jeune ministre du prêtre l’injurie, et le prêtre la réprimande. Elle échappe aux orages de sa maison, elle