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Dieu. C’est pourquoi Anne, laissant de côté tous les secours terrestres, courut au Maître de la nature, et ne cessa point de le prier jusqu’à ce qu’elle lui eût persuadé de mettre fin à sa stérilité, d’ouvrir son sein, de changer en mère l’épouse stérile. Bienheureuse en cela même, non d’avoir été mère, mais de l’être devenue, ne l’ayant pas été d’abord. Car le premier lot est celui de tout, son sexe, mais le second bonheur était réservé pour Anne. Bienheureuse à cause de cet enfantement, non moins bienheureuse à cause de tout ce qui le précéda. En effet, hommes et femmes, vous, savez certainement tous que rien n’est plus insupportable aux yeux d’une femme que la stérilité : quand elle jouirait mille fois de bonheur, le chagrin que fait naître en elle cette calamité resterait toujours inconsolable. Or, si on trouve ce malheur si intolérable, aujourd’hui que nous avons été conviés à une sagesse plus haute, que nous sommes dans le chemin du ciel, que nous ne tenons nul compte du présent, au milieu de nos préparatifs pour l’autre vie, maintenant que la virginité est l’objet de si grandes louanges, songez quel malheur ce devait être, dans la pensée des anciens, alors qu’on n’avait ni l’espérance, ni l’idée même d’un avenir, alors qu’on n’agissait qu’en vue des choses présentes, et qu’il y avait comme une malédiction, une condamnation attachée au sort de la femme stérile et sans enfants. On ne peut dire, on ne peut se représenter la douleur que causait un pareil coup. Témoin tant de femmes, qui, sages dans tout le reste, ne purent supporter cette infortune, les unes s’irritant contre leurs maris, les unes jugeant l’existence intolérable. De plus, cette femme n’avait pas seulement la douleur d’être stérile : une autre peine l’assiégeait, le courroux provoqué par les injures de sa rivale. Comme on voit des vents déchaînés en sens contraire, se ravir les uns aux autres un esquif égaré sur le théâtre de leur lutte mutuelle, et ameuter d’énormes vagues contre sa poupe, contre sa proue, tandis que le nocher assis au gouvernail veille sur son embarcation et repousse, grâce à son habileté et à son expérience, toutes les attaques des flots : ainsi la femme dont je parle, recevant en son âme l’irruption de deux souffles contraires, le courroux et le découragement, voyant par là ses conseils frappés d’impuissance, au milieu des vagues soulevées, et cela non deux ou trois, ni vingt jours durant, mais pendant des années entières ( depuis longtemps, dit l’Écriture), cette femme, dis-je, sut résister noblement à la tempête, et ne laissa point l’abîme engloutir sa raison. En effet la crainte de Dieu, comme le pilote assis au gouvernail, lui persuadait de tenir tête généreusement à cet orage : et elle ne quitta pas la direction de cette âme qu’elle n’eût fait débarquer dans un port paisible le navire avec ce qu’il portait, ces flancs chargés d’un inappréciable trésor. Car ce n’est point de l’or, ni de l’argent qu’elle partait : c’était un prophète et un prêtre, et son sein était doublement sanctifié, tant par la destinée de l’enfant qui y était enfermé, que par l’origine de cet enfant dû à la prière et à la grâce d’en haut.
2. Mais ce n’est pas-seulement le fardeau qui était extraordinaire et merveilleux : la manière dont elle s’en défit est plus étonnante encore elle ne le vendit point à des hommes, à des marchands, à des négociants : mais dès qu’elle en eut débarrassé son esquif, elle le vendit à Dieu : et le gain qu’elle fit fut celui qu’on doit attendre d’un pareil trafic avec Dieu. Car après qu’il eut reçu d’elle ce fils, il lui donna en retour un autre enfant : que dis-je ? non pas un, ni deux, ni trois ou quatre seulement, mais un bien plus grand nombre, Stérile, dit l’Écriture, elle donna le jour à sept enfants. (1Sa. 2,5) Ainsi l’intérêt dépassa le capital. Voilà comment se terminent, les affaires conclues avec Dieu : ce qu’il paie n’est point une minime partie du capital, c’est le capital plusieurs fois multiplié. Et ce ne sont point seulement des filles qu’il lui donna, mais il lui composa une postérité de l’un et l’autre sexe : de telle façon que sa joie fut sans mélange. Ce que j’en dis n’est point pour m’attirer vos éloges, mais pour vous persuader d’imiter la foi d’Anne, sa résignation, sujet que j’ai déjà traité en partie, l’autre jour, devant vous. Aujourd’hui, afin que je m’acquitte du reste, permettez-moi de vous entretenir un instant des paroles qu’Anne, après sa première prière, adresse au prêtre et au ministre du prêtre, afin que vous jugiez de sa patience et de sa douceur. Et il arriva, dit l’Écriture, que tandis qu’elle se répandait en prières devant le Seigneur, le prêtre Héli observait sa bouche. (Id. 1,12)
L’historien, en ce passage, témoigne de deux vertus chez Anne, la constance dans les prières, et la vigilance de la pensée : d’un côté, par ces mots : Elle se répandait, de l’autre, parce